-34 % de consommation de gaz : pourquoi l'Aude tourne le dos à une énergie historique
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L'Aude tourne le dos au gaz. Entre 2019 et 2024, la consommation de gaz des ménages a chuté de 34 % et le département a perdu 10 % de ses abonnés, un des taux les plus élevés de France. De Carcassonne à Narbonne, enquête sur un abandon qui redessine la carte énergétique de l'Occitanie.
Une baisse généralisée, tirée par les deux grandes agglomérations
Les données exclusives de GRDF que Selectra a pu analyser montrent que la baisse de la consommation de gaz des ménages est un phénomène profond qui touche l'ensemble du territoire audois. Au total, ce sont 133.230 MWh qui ont été effacés de la consommation annuelle résidentielle entre 2019 et 2024 (-34 %), et 3753 foyers qui ont quitté le réseau de gaz sur la même période (-9,8 %).
Si la tendance est générale, elle est principalement portée par les deux pôles urbains du département : les agglomérations de Carcassonne et de Narbonne.
| Communauté de communes (EPCI) | Baisse de la consommation | Baisse du nombre de compteurs |
|---|---|---|
| CA Carcassonne Agglo | -32,4 % | -8,5 % |
| CA Le Grand Narbonne | -35,5 % | -10,8 % |
| CC Castelnaudary Lauragais Audois | -35,3 % | -8,4 % |
| CC du Limouxin | -35,2 % | -11,5 % |
| CC Piège Lauragais Malepère | -34,2 % | -7,8 % |
| CC Pyrénées Audoises | -34,0 % | -9,6 % |
| CC Région Lézignanaise, Corbières et Minervois | -36,7 % | -11,4 % |
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Carcassonne et Narbonne, moteurs de la baisse
Ensemble, les agglomérations de Carcassonne et Narbonne représentent près de 80 % de la consommation de gaz résidentiel du département. Ce sont donc elles qui dictent le rythme de la transition.
Carcassonne Agglo a vu sa consommation chuter de plus de 61.000 MWh, tandis que Le Grand Narbonne enregistre une des plus fortes baisses du nombre d'abonnés (-10,8 %). Cette dynamique urbaine, où les alternatives comme les pompes à chaleur sont plus faciles à mettre en œuvre, est le principal moteur de la performance départementale.
Pourtant, et c'est là tout le paradoxe de la situation, la ville de Carcassonne ne tourne pas le dos à son infrastructure gazière. Bien au contraire. Le 1er juillet 2025, la mairie a officiellement renouvelé son contrat de concession avec GRDF pour une durée de 30 ans, s'engageant jusqu'en 2055. Pour Gérard Larrat, maire de Carcassonne, il s'agit de poursuivre une "relation de confiance" avec l'opérateur.
Cet engagement à très long terme, alors même que les consommateurs abandonnent le gaz fossile, s'explique par un pari stratégique : celui de la transition vers le gaz vert. "Par cette signature, nous allons faire tous les efforts possibles pour accompagner et faire en sorte que le réseau de gaz à l’échéance de ce contrat achemine 100 % de gaz renouvelable", a affirmé Claude Bompart, directeur territorial de GRDF.
La première étape concrète a été franchie en janvier 2025 avec la première injection de biométhane dans le réseau audois depuis la station d’épuration Saint-Jean, une production locale capable d'alimenter l'équivalent de 2000 logements neufs.
La stratégie est donc claire : face à la désaffection pour le gaz fossile, les acteurs publics et privés misent sur la transformation des 301 kilomètres de réseau de la commune pour en faire un vecteur d'énergie renouvelable et locale, justifiant ainsi sa pérennité pour les 13.604 clients restants.
Chiffres clés du réseau de gaz dans l'Aude
- Nombre de communes couvertes : 95
- Consommation annuelle des ménages en 2024 : 260.274 MWh (-34 % par rapport à 2019) ;
- Consommation moyenne d'un ménage en 2024 : 7,29 MWh (-26,6 % par rapport à 2019) ;
- Nombre de ménages abonnés au gaz en 2024 : 35.697 (-9,8 % par rapport à 2019).
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La "tempête parfaite" : les raisons d'une chute si brutale
La performance de l'Aude, qui se classe au troisième rang national des plus fortes baisses au niveau national, n'est pas le fruit du hasard. Elle est la conséquence d'une "tempête parfaite" où trois facteurs se sont alignés, poussant les ménages à abandonner massivement le gaz.
L'impact direct de la flambée des prix
Le premier facteur, et le plus brutal, est économique. Comme partout en France, les ménages audois ont subi de plein fouet la forte hausse des prix du gaz, qui a vu la facture d'un foyer type augmenter de +59 % entre 2019 et 2024.
Cette onde de choc a transformé la sobriété en une nécessité économique. Conséquence : la consommation des ménages situés dans l'Aude s'est effondrée. En 2019, un foyer audois consommait en moyenne 9,97 MWh ; en 2024, il n'en consomme plus que 7,29 MWh, soit une baisse de l'usage individuel de -26,9 %.
Évolution de la facture de gaz pour un client chauffage (en €)
Évolution TRVG (zone 1) / PRG (part variable moyenne) pour une consommation de 11 200 kWh par an - Source : CRE, Calculs Selectra - Graphique : Selectra
€
Une sortie du gaz encouragée par la réglementation et les aides
Au-delà de la simple baisse de consommation, l'Aude connaît un véritable mouvement de sortie du réseau, avec une perte de 9,8 % de ses abonnés en cinq ans, soit près de 3753 foyers. Cette tendance est activement pilotée par les politiques publiques.
D'un côté, la réglementation environnementale RE2020 a de facto mis fin à l'installation de chaudières à gaz dans les logements neufs, tarissant la source de nouveaux clients.
De l'autre, les aides de l'État comme MaPrimeRénov' incitent financièrement les propriétaires à remplacer leurs chaudières existantes par des pompes à chaleur.
Des hivers doux, le catalyseur de la transition
Enfin, ce mouvement de fond a été grandement facilité par un contexte climatique exceptionnel. L'Aude, au cœur de l'Occitanie, a bénéficié d'une succession d'hivers particulièrement cléments, documentés par Météo-France :
- Hiver 2019-2020 : Le plus chaud jamais enregistré en France, avec une anomalie de température moyenne de +2,7 °C.
- Hiver 2021-2022 : Qualifié de "majoritairement doux", il a affiché une anomalie de +1,2 °C, avec des périodes de douceur record.
- Hiver 2023-2024 : Troisième plus chaud jamais mesuré, il a confirmé cette tendance avec une anomalie de +2,0 °C pour la seule région Occitanie.
Cette série continue d'hivers particulièrement doux n'est pas neutre. Sachant que, selon la CRE, le chauffage représente 84 % de la consommation de gaz résidentiel, ces températures élevées ont mécaniquement réduit les besoins en gaz pour les ménages audois.
Quel avenir pour le gaz dans l'Aude ?
Avec une perte de près de 10 % de ses abonnés en cinq ans, les coûts fixes du réseau de gaz de l'Aude, répartis sur de moins en moins de consommateurs, risquent de provoquer une hausse continue des tarifs d'acheminement pour les 35.697 foyers restants.
Cependant, cette situation de déclin local entre en collision frontale avec la vision stratégique de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) pour la grande région Occitanie. Loin d'envisager un démantèlement, le rapport de la CRE positionne l'Occitanie comme une future "centrale à gaz vert" pour la France. Il anticipe que la région deviendra "exportatrice de biométhane" d'ici à 2040, sa production dépassant alors sa propre consommation.
Selon les projections de la CRE, la production de gaz devrait atteindre les 3 TWh en 2050, soit plus du double que la consommation (1,2 TWh).
Cette transformation du rôle de la région implique non pas d'abandonner le réseau, mais au contraire de le renforcer et de le moderniser. La CRE chiffre ces besoins : il faudra construire entre 35 et 47 nouvelles stations de compression en Occitanie d'ici à 2050 pour gérer toute cette production de biogaz. À l'inverse, le potentiel de démantèlement est quasi nul : seuls 207 km de réseau principal y sont considérés comme "libérables".
L'Aude est donc au cœur d'un dilemme. Alors que la région se prépare à des investissements pour devenir un pilier du gaz renouvelable, le département, lui, voit ses consommateurs s'enfuir et accuse un retard considérable sur la production de biométhane (0 % de gaz vert injecté en 2024, 2% prévu en 2026).
Faut-il alors maintenir à grands frais une infrastructure locale de moins en moins utilisée, au nom d'une stratégie régionale dont le département ne semble pas encore bénéficier ? Ou l'Aude deviendra-t-elle un cas d'étude pour une "décroissance planifiée" du réseau, même au sein d'une région promise à un grand avenir gazier ?
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