Pourquoi le prix du gaz continue à monter
Ce lundi 16 septembre 2024, la CRE a publié la mise à jour du prix repère gaz, désormais à 0,11062 €/kWh pour le segment chauffage. Un prix en hausse de 6,75 % par rapport au mois dernier. En janvier, l'accise sur le gaz avait été portée de 8,37 €/MWh à 16,37€/MWh. En juillet l'ATRD, soit la part acheminement du prix du gaz, avait également augmenté de 27,5%. En faveur de la transition énergétique, la Cour des Comptes invite le Gouvernement à revoir à la hausse la taxation des énergies fossiles, dont le gaz fait partie. Devons-nous nous attendre à une nouvelle hausse du prix du gaz prochainement ? Voici notre analyse.

Dans notre dernier article d'actualité à propos du report de la hausse du TURPE, nous vous avions parlé d'un rapport portant sur la place de la fiscalité de l'énergie dans la politique énergétique et climatique en France. Publié par la Cour des Comptes, ce document de 150 pages interpelle : aujourd'hui, à cause (entre autres) d'un manque de coordination entre acteurs, la fiscalité de l'énergie n'est pas assez utilisée comme levier dans la lutte contre le réchauffement climatique. La Cour des Comptes déclare même que certains dispositifs fiscaux en vigueur apparaissent comme "des soutiens implicites aux énergies carbonées".
Et la taxe carbone dans tout ça ?
En 2014, la Composante Carbone (taxe carbone version française) avait été mise en place pour inciter la population à réduire sa consommation d'énergies fossiles. Comme soulevé par la Cour des Comptes, l'adoption de cette taxe pigouvienne est la preuve de la position assumée de l'État en matière de fiscalité à portée comportementale. En pesant sur le prix final de l'énergie, cette redevance vise à inciter les consommateurs à réduire leur consommation d'énergies fossiles. Censée atteindre 100 €/t de CO2 en 2030, elle a été gelée à 44,60 €/t de CO2 depuis 2018, en réponse au mouvement des Gilets Jaunes. Intégrée à l'accise sur les énergies fossiles, elle a permis à l'État d'augmenter ses recettes fiscales depuis 2014. Néanmoins, son efficacité en tant que levier de politique climatique est questionnable. Le gaz et l'électricité étant aujourd'hui taxés à des niveaux similaires.
💸 Électricité et gaz : taxer plus, pour polluer moins
Intuitivement (et éthiquement), taxer plus fortement les énergies fossiles au profit des énergies vertes semble être un no brainer. C'est même la raison d'être de la Composante Carbone (taxe carbone à la française). Pourtant, malgré ce dispositif, nos calculs sont clairs : le gaz naturel, le fioul et l'électricité sont taxés à des niveaux équivalents, malgré leur différence d'incidence sur l'environnement. Regardons ça de plus près.
Estimons le niveau d'émission de CO2 par type d'énergie.
Sources : Base empreinte de l’ADEME (2014) - Graphique : Selectra
Ce graphique nous montre que le gaz, le fioul, le gazole et l'essence ont des niveaux d'émission de CO2 élevés. Sans surprise, l'électricité et la combustion de bois bûche sont bien plus "cleans".
Regardons maintenant ce second graphique. Celui-ci étudie la part des taxes (accise + TVA) sur le prix TTC de différentes énergies.
Source : ADEME, Assemblée Nationale, ministère de l’Economie, CRE, ATEE, INSEE - Analyse, calculs et graphique : Selectra, en février 2025
Dans une logique de transition énergétique, un niveau élevé d'émission de GES devrait entraîner une hausse de l'accise sur l'énergie, et conséquemment, de la TVA. C'est en tout cas ce que défend la Cour des Comptes. Pourtant, bien que le gaz, le fioul, le gazole et l'essence fassent partie des énergies les plus polluantes, seuls le gazole et l'essence sont plus fortement taxés. Les niveaux de taxation de l'électricité, du gaz et du fioul sont quasi identiques, à savoir situés autour de 30 % de leur prix TTC.
Si nous appliquons une logique de taxation dissuasive pour le carburant, pourquoi ne pas appliquer le même principe pour le gaz et le fioul ? Ce constat entre en résonance avec le propos porté par la Cour des Comptes : le potentiel dissuasif de la fiscalité des énergies n'est pas utilisé. Il apparaît pourtant comme un outil de choix pour accélérer l'abandon du gaz (et du fioul) au profit de l'électricité.
Que penser de ce troisième graphique ?
Sources : CRE, INSEE, ATEE, Assemblée Nationale - Analyse, calculs et graphique : Selectra, en février 2025
Ce troisième graphique, issu d'une étude Selectra, classe le montant total des taxes (accise + TVA) par MWh, selon différentes sources d'énergie. Le résultat est criant. Compte tenu du coût plus élevé de l'électricité (0,2516 €/kWh), en comparaison au gaz (0,1036 €/kWh) et au fioul (0,1265 €/kWh), celle-ci rapporte un niveau de recette par MWh proche de celui des carburants fossiles.
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byu/Born-Animator-6769 from discussion
inenergie_fr
🤓L'avis de Selectra : avons-nous le luxe de renforcer la taxation sur le prix du gaz ?
" Il faut savoir qu’aujourd’hui, l’électricité est taxée grosso modo deux fois plus que le gaz […]. Si on va trop loin, le risque, c’est que le gaz coûte moins cher que l’électricité. Et ça, c’est un frein à la décarbonation", Agnès Pannier-Runacher sur LCI, en octobre 2024.
Ça fait maintenant plus de 10 ans que le gouvernement incite la population à adopter des systèmes de chauffage moins polluants. Pourtant, il consacre le même niveau de taxation à l'électricité, au gaz et au fioul. Pour accélérer la transition énergétique en France, pourquoi ne pas augmenter la taxation du gaz, et baisser d'autant celle de l'électricité, comme le suggère la Cour des Comptes ? Comme vous l'aviez sûrement déjà deviné, cette action n'est pas si simple à mettre en œuvre. Voici notre avis sur le sujet.
Connaissez-vous le cercle vicieux du prix du gaz ?
Augmenter davantage la taxation gaz, c'est accélérer la mort de la filière gaz. Pourquoi ? Quel que soit le nombre d'usagers et le niveau de la consommation de gaz, il faut pouvoir continuer à maintenir le réseau en état. Pour assurer cette maintenance, il faut que les gestionnaires du réseau perçoivent des recettes suffisantes. Pour ça, il faut qu'il y ait assez de consommateurs de gaz. Et, pour éviter la fuite des consommateurs de gaz, il faut que les prix restent « raisonnables ». Dans l'équation, majorer l'accise sur le gaz, signifie augmenter les prix pour les consommateurs finals, ce qui ne fera qu'accélérer leur départ vers d'autres modes de chauffage.
Quel est le poids de la part réseau dans votre facture de gaz ?
La part réseau du prix du gaz contient l'ATRD, l'ATRT, et l'ATS, tous soumis à la TVA. Pour quelqu'un qui est chauffé au gaz (T2) et qui consomme 12 160 kWh/an, soit 1525 € de facture annuelle en moyenne, l'ATRD représente 20,6% de la facture (314€), l'ATRT 5.9% de la facture (90 €), et l'ATS 3.9 % de la facture (59.50 €). Soit une part réseau HT d'environ 30 % de la facture, pour un montant de 463,5 €/an (environ 39€/mois rien que pour le réseau). En comparaison, pour l'électricité, la part réseau HT (TURPE) est de 20,4% de la facture annuelle en ce moment.
Pour info La boucle est déjà lancée. La consommation de gaz en France est en baisse depuis 2018. Cette tendance devrait se poursuivre à hauteur de -2,9% par an jusqu'en 2035 (source : Perspectives gaz 2024). On pourrait donc s'attendre à une consommation annuelle d'environ 268 TWh à cette date, contre 381 TWh en 2023 (source : Bilan gaz 2023 de GRTgaz).
Regardons ce cercle vicieux opérer depuis 2021 :
- La situation géopolitique, l'indisponibilité des centrales nucléaires, ainsi que d'autres facteurs externes font exploser les prix du gaz de 40% entre 2021 et 2022. On parle de crise de l'énergie.
- En réponse à l'augmentation des prix, les usagers chauffés au gaz adoptent des mesures de sobriété énergétique.
- Le réchauffement climatique entraîne une hausse des températures hivernales, faisant diminuer les besoins de chauffage.
- Face à l'augmentation du prix du gaz et aux objectifs de transition énergétique, de plus en plus de ménages se tournent vers l'électricité. Cette initiative est accompagnée par le gouvernement dans le cadre de multiples aides. Pour l'installation d'une pompe à chaleur, c'est le cas de MaPrimeRénov', pouvant être cumulée à la prime "Coup de pouce chauffage" du système des CEE.
Années après années, la consommation de gaz en France décline, et la filière perd des clients, comme on peut le constater sur ce graphique mis à jour en temps réel.
Consommation de gaz naturel en France (en GWh) - source ODRE, Téréga, NaTran, compilées par Selectra
- Dans le contexte des délibérations de l'ATRD6, les demandes de recettes prévisionnelles de GRDF sont revues à la baisse par la CRE.
- La PPE de 2019 prévoit de réduire nos capacités de stockage de gaz dans les prochaines années.
La loi de finances pour 2024 met fin à la réduction de l'accise sur le gaz liée à l'injection de biogaz dans le réseau et ouvre la possibilité de la majorer à hauteur de 16,37 €/MWh.
Graphique: selectra.info - Source: Légifrance
- Le prix du gaz, notamment la part réseau, augmente, entre autres, pour pallier le manque à gagner estimé à 900M € sur la période ATRD6. En juillet, la part réseau augmente de 27,5 %.
- En réponse à l'augmentation du prix du gaz, les usagers continuent de se tourner vers l'électricité.
- La consommation de gaz baisse d'autant.
- Liée à des charges incompressibles, la part réseau du prix du gaz pèse sur moins d'usagers.
- Nous pouvons imaginer la suite : le prix du gaz augmente pour arriver à supporter la maintenance des réseaux, malgré la baisse de la consommation.
- Etc.
Pourquoi les coûts de maintenance du réseau de gaz ne baissent-ils pas à mesure que le nombre d'usagers décroît ?
L'infrastructure gazière en France entraîne des coûts fixes élevés : canalisations, stations de compression, etc. Tous ces équipements nécessitent une maintenance continue, quel que soit le volume de gaz qui transite dans le réseau ! Même si la consommation de gaz et le nombre de clients diminue, le réseau doit être maintenu dans sa totalité. Les gestionnaires ne peuvent pas le "réduire" à mesure du départ des clients, du moins pas à court terme.
La transition énergétique, quoi qu'il en coûte ?
Imaginez maintenant que l'on décide de taxer plus généreusement le gaz pour répondre à nos objectifs de politique climatique. Rajoutez l'élément "hausse drastique de l'accise sur le gaz" dans notre équation aurait pour effet d'accélérer la chute de la consommation de gaz. Un point positif pour l'environnement, mais à quel prix ?
Accélérer la fin du gaz entraînerait de lourdes conséquences socio-économiques
Aujourd'hui, la filière connaît déjà une baisse de la consommation. Pour pallier cette chute, GRDF tente de se réinventer en misant sur le biogaz. Objectif : injecter 14 à 20 TWh en plus par an d'ici à 2028.
Est-ce un investissement sur le long terme, ou un espoir désespéré de l'entreprise de faire survivre la filière ? Aujourd'hui, le secteur du gaz ne semble pas avoir de direction claire. À quoi bon investir dans le biogaz, si le réseau peine à être financé en raison de la baisse de la consommation ? À terme, le réseau comptera-t-il assez de volumes de biogaz pour justifier son maintien, face à la concurrence de l'électricité ?
GRDF conseille actuellement les consommateurs de gaz de se tourner vers les pompes à chaleur hybrides, avec la promesse d'un gaz qui sera bientôt 100% renouvelable. Cette recommandation laisse songeur. Elle semble aller davantage dans le sens de la survie d'un modèle en voie d'obsolescence, qu'en faveur de la transition énergétique. Notons néanmoins que tant que subsistera du chauffage au fioul dans l'Hexagone, le gaz ne sera pas l'homme à abattre. En revanche, le coût de son infrastructure pourrait bien contribuer activement à sa chute.
Il faut comprendre ici que la filière gaz a besoin de temps pour redéfinir ses activités, investir dans la reconversion de ses réseaux et la transformation de ses infrastructures de stockage. Augmenter subitement la taxation du gaz naturel aurait un effet direct sur le prix final pour les consommateurs, qui finiraient par opter pour l'électricité. Une situation responsable de conséquences directes sur les entreprises et les emplois du secteur. Ceux-ci se retrouvant privés du temps nécessaire pour "retomber sur leurs pattes".
Accélérer la fuite des consommateurs vers d'autres sources d'énergie revient également à faire peser le coût du réseau sur ceux qui n'ont pas la possibilité de changer de mode de chauffage : parce qu'ils n'ont pas les moyens ou parce qu'ils sont locataires. Autrement dit, des foyers plutôt modestes.
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byu/Born-Animator-6769 from discussion
inenergie_fr
Pourrions-nous nous passer du gaz à moyen terme ?
Au-delà de ces considérations socio-économiques, faire peser sur nos capacités électriques actuelles l'intégralité de notre consommation de gaz est tout simplement impossible. Nous n'avons pas suffisamment d'électricité pour remplacer les 381 TWh de gaz consommés en 2023. Cette hausse énorme (on parle d'un doublement) du besoin électrique n'étant ni prévue au programme, ni soutenable d'un point de vue technique.
L'idée de l'équipe Selectra : opter pour un ballon d'eau chaude électrique pour sauver la planète ?
Si se passer de l'intégralité du gaz de chauffage semble prématuré, sortir du segment "eau chauffée au gaz" serait un premier pas. En effet, le réseau électrique est à la recherche de consommation déplaçables, dont le ballon d'eau chaude est le meilleur exemple. Si nous considérons que 90%* des logements chauffés au gaz ont aussi l'eau chaude au gaz, nous pouvons supposer que ce second poste de dépense énergétique représente 4%* de la consommation résidentielle nationale, toutes énergies confondues. Passer ces logements sur des ballons d'eau chaude électriques pourrait accélérer la réduction l'empreinte carbone du gaz en France. Entre juin et septembre, le nucléaire module, c'est-à-dire qu'il réduit sa production faute de besoin. Sur cette période, des ballons pourraient chauffer avec un impact carbone quasi nul. Attention au prix toutefois : le kWh d'électricité est deux fois plus élevé que celui du gaz (0,25 €/kWh vs 0,11 €/kWh). En conservant le chauffage gaz, les ménages concernés ne pourraient pas non plus faire l'économie de l'onéreux abonnement au gaz (environ 25 €/mois). Un double coup dans leur portefeuille... À moins que la différence entre le ratio tarif heures creuses / tarif heures pleines ne soit renforcé à l'avenir (25% actuellement)... sujet pour un prochain article.
Vous l'aurez compris, se préparer à la fin du gaz prend du temps, mais les hausses du prix du gaz devraient se succéder à un rythme supérieur à l'inflation dans les années à venir.
Source : Chiffres clés du logement 2022 - calcul : 90% des logements chauffés au gaz ont aussi l'eau chaude au gaz x 41% de logements chauffés au gaz x 11% de l'énergie résidentielle consommée par l'eau chaude = 4% de la consommation totale des logements français