Augmentation de la consommation d’électricité : les stocks seront-ils suffisants ?
En s’émancipant des énergies fossiles et en privilégiant le “tout électrique”, la consommation hexagonale devrait irrémédiablement augmenter dans les années à venir. Un récent rapport du gestionnaire de réseau RTE estime que le pays devrait faire l'objet d' une hausse significative des besoins électriques d’ici 2050. Une question de taille se pose alors : le pays pourra t-il à terme couvrir l’intégralité de ses besoins énergétiques ?
Une hausse de 60 % de la consommation électrique
La France est-elle en passe de se tourner vers le “tout électrique” ? Les récents engagements énergétiques du pays devraient changer plus vite que prévu ses habitudes de consommation et surtout, la composition de son mix énergétique. Une analyse prospective de RTE laisse penser que la part de l’électrique dans la consommation nationale devrait devenir de plus en plus significative dans les années à venir.
Dans ce rapport, le gestionnaire de réseau RTE a pris en compte les nouveaux facteurs politiques qui découlent de la crise énergétique européenne. Parmi ces phénomènes, il faut compter le déploiement du programme européen "Fit for 55", qui définit pour les membres de l’UE des objectifs concrets de réduction des émissions de CO2. Les États membres s’engagent en effet à les réduire, à l’horizon 2030, de 55 % par rapport à 1990. D’autre part, face aux conséquences indirectes de la guerre en Ukraine et la perte de l’approvisionnement de gaz russe, les pays européens souhaitent s’affranchir de leur dépendance aux hydrocarbures russes.
L’électricité, notamment issue des énergies renouvelables, se présente ainsi comme un allié de poids. La somme de ces obligations devrait en effet pousser plusieurs pays - dont la France - à augmenter leurs besoins en électricité. Selon RTE, les Français s’engagent dans cette voie.
“Parallèlement à la baisse globale de consommation d’énergie, tous les scénarios de RTE concluent donc à une hausse de la consommation d’électricité à 2050 [par rapport à 2019 ndlr] allant de :
- 15% dans des scénarios avec peu de nouvelles industries et des gros efforts de sobriété.
- 60% en cas de réindustrialisation forte du pays.”
En 2022, les Français ont consommé en moyenne 460 TWh d'électricité, ce qui représente seulement 25% des besoins énergétiques, puisque le reste est assuré par les énergies fossiles. Selon les estimations de RTE la consommation électrique française à venir pourrait se présenter de la façon qui suit :
- En 2035 : entre 580 et 640 TWh ;
- En 2050 : entre 554 et 754 TWh.
“La hausse de la consommation d’électricité sera donc forte et rapide”, estime RTE dans son rapport. Des chiffres revus à la hausse, puisque les dernières estimations du gestionnaire - en 2021 - tablaient sur une consommation future de 540 TWh par an. Preuve que le contexte énergétique et politique a eu un impact colossal sur l’avenir de l’électricité en France.
Pourquoi une explosion de la consommation électrique ?
Ce sont surtout les secteurs de l’industrie et des transports qui devraient faire fortement augmenter les besoins en électricité. Selon RTE, les calculs prévisionnels laissent penser qu’entre 2019 et 2050 :
- Les industries passeront d’une consommation de 110 à 180 TWh par an ;
- Les transports de 14,8 à 99 TWh par an.
Les usines sont appelées à accélérer leur décarbonation en se détachant des énergies fossiles, telles que le gaz et le charbon. L’alternative première face à cette modification de la consommation devrait être d’origine électrique, qui est quant à elle déjà décarbonée à 91% en France. L'électrification des ces secteurs énergivores changera littéralement la donne.
Le secteur tertiaire, avec notamment une place grandissante des data centers, fera l’objet d’une demande bien plus importante également, en passant de 89,4 TWh en 2019 à 110 TWh en 2050.
Côté résidentiel, le niveau de consommation devrait se maintenir voire diminuer à l’horizon 2050, en raison d’une amélioration des équipements électriques et d’une sobriété durable liée à la rénovation énergétique.
Les grands chantiers qui feront de l’électricité la principale source d’énergie des Français, seront une amélioration générale de l’efficacité énergétique des bâtiments, mais également le remplacement progressif d’équipements fonctionnant aux énergies fossiles par des dispositifs électriques. À l’instar des chaudières à gaz, qui font actuellement l’objet d’une concertation entre le gouvernement et les acteurs de la filière gaz. Les pompes à chaleur électriques pourraient être l’équipement le plus sollicité. Avec 11,2 millions de foyers se chauffant encore au gaz, une telle conversion pourrait offrir à l’électricité une place de choix dans les habitudes énergétiques des Français.
Les stocks d’électricité seront-ils suffisants en 2050 ?
Ces chiffres, qui laissent entrevoir une avancée significative vers la décarbonation, posent cependant une question fondamentale : la France aura-t-elle les moyens suffisants de répondre à cette demande d’électricité exponentielle ?
L’électricité dont dépend l’Hexagone provient essentiellement de sa production nucléaire. En 2022, ce secteur a fourni pas moins de 63% de l’électricité française. Une part plus faible qu’à l’accoutumée, qui s’explique par l’arrêt “forcé” de plusieurs réacteurs l’an dernier. Le gouvernement semble toutefois vouloir octroyer un rôle majeur à cette source énergétique à l’avenir. En mars 2023, l'Assemblée nationale a supprimé l'objectif de réduction à 50% de la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique français d'ici à 2035, qui avait été mis en place sous le mandat de François Holland. La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait expliqué dans la foulée qu'elle ne souhaitait "ni plafond ni plancher" sur la production nucléaire.
Cependant, selon RTE, il faut être vigilant, car “le nucléaire ne pourra pas produire suffisamment d’électricité d’ici 2035 pour satisfaire aux besoins français et ne le pourra pas davantage d’ici 2050, surtout en cas de forte réindustrialisation”. Le rapport rappelle par ailleurs que la production nucléaire “déclinera progressivement au cours de cette période, au rythme des mises à l’arrêt des réacteurs”.
C’est pourquoi la France devra “à court et moyen termes, développer de manière très volontariste toutes les énergies renouvelables [...] pour atteindre les objectifs climatiques [qu’elle] s’est fixée”, estime RTE.
Les énergies renouvelables, meilleur espoir pour l’électricité française
Le potentiel des énergies renouvelables a prouvé en Europe que les besoins en électricité peuvent être comblés par ce type de production. Au cours du mois de mai et la première semaine de juin, plusieurs pays européens sont parvenus à surproduire de l’électricité grâce à l’intervention du solaire et de l’éolien, au point de voir les prix des marchés de gros passer sous des seuils négatifs. La Finlande, grâce à son hydroélectricité, et l’Allemagne à ses capacités solaires, ont généré plus d’électricité que les besoins de leur population, inversant ainsi la courbe des prix.
RTE estime que dans tous les scénarios envisagés - en cas de réindustrialisation comme en cas de sobriété - le développement de l’éolien en mer, de l’éolien terrestre et de l’énergie solaire doivent être impérativement priorisés.
La France a d’ailleurs anticipé ce défi. Le 10 mars 2023, une Loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a été adoptée et publiée au Journal Officiel. Elle prévoit trois grands axes de développement des énergies renouvelables :
- Multiplier par dix la production d'énergie solaire pour dépasser les 100 gigawatts (GW).
- Le déploiement de 50 parcs éoliens en mer pour atteindre 40 GW.
- Doubler la production d'éoliennes terrestres pour arriver à 40 GW.