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Quelles améliorations que peut espérer le consommateur Européen des réseaux intelligents ?

Smart grids en Europe : les réseaux électriques et compteurs intelligents

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La généralisation des compteurs intelligents dans l’Hexagone suscite de vives inquiétudes auprès des consommateurs français. D’aucuns y voient un risque pour la santé et le porte-monnaie des ménages. Mais impossible d’y échapper : bientôt, les compteurs de nouvelle génération Linky et Gazpar seront partout dans nos maisons. À l’origine ? Deux directives européennes sur le comptage évolué. Alors, la pilule des smart grids passe-t-elle mieux chez nos voisins européens ? Selectra.info a mené l'enquête.

Quel est l'intérêt des smart grids ?

Les Smart grids désignent les réseaux électriques intelligents qui servent à optimiser la production, l'acheminement, la distribution et la consommation de l'électricité grâce aux données générées par les systèmes informatiques. En effet, toutes ces informations collectées, de la production à la consommation, permettent d'améliorer l'efficacité énergétique de l'ensemble du réseau.

L'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, en constante augmentation à travers le monde, est compliqué à atteindre. D'autant plus que cette énergie est difficilement stockable... Les smart grids sont donc là pour que chaque étape de la distribution électrique soit optimisée. Chaque acteur de la chaîne est concerné :

  1. la production : les centrales nucléaires et thermiques, les turbines hydrauliques et les parcs photovoltaïques, éoliens et de biomasse ;
  2. l'acheminement : des centres de production aux pylônes électriques transportant l'énergie ;
  3. la distribution : par les gestionnaires du réseau de distribution ;
  4. la fourniture : via les compteurs intelligents.

Comment fonctionnent les smart grids ?

Pour commencer, les compteurs intelligents   permettent de collecter des métadonnées sur la consommation électrique sur le réseau. De plus, des capteurs sont présents tout le long du réseau pour s'assurer qu'il n'y a aucune panne ni perte lors de l'acheminement et la distribution de l'électricité. Ainsi, la meilleure connaissance de la consommation d'électricité, toujours très variable (profils, habitudes, thermo-réactivité, etc.), permet de savoir quels leviers utiliser pour que la production soit au plus proche des besoins en électricité. Outre l'augmentation de la production, il est possible de faire payer plus chère la consommation à certaines heures (comme cela existe déjà avec les options tarifaires Heures pleines - Heures creuses, Tempo et EJP pour les particuliers).

De ce fait, les pointes de consommation, et conséquemment les capacités des pointes de production (particulièrement coûteuses) peuvent être lissées. Par ailleurs, les smart grids facilitent l'intégration des énergies renouvelables sur le réseau, notamment pour compenser localement des besoins ponctuels en électricité.

A quoi servent les smart grids ?

Outre la réduction des coûts économiques de l'énergie, les réseaux électriques intelligents ont pour but d'économiser l'énergie, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d'éviter les pannes dues à une surcharge et de sécuriser le réseau électrique.

Infographie smart grids

Les compteurs intelligents : une histoire européenne

Les compteurs intelligents, également appelés communicants ou de nouvelle génération, disposent de technologies dites AMR (Automated Meter Reading). Ils apportent plus d’informations qu’un compteur d'électricité classique et permettent de mesurer en temps réel la consommation d’électricité ou de gaz naturel. Concrètement, la transmission des données s’effectue par ondes radio ou par courants porteurs en ligne (CPL) au gestionnaire du réseau de distribution qui est chargé du comptage.
 

Linky et Gazpar

En France, ENEDIS (anciennement ERDF jusqu'en 2016) a évoqué le projet de son compteur intelligent Linky dès 2007. Après une première phase d’expérimentation entamée en 2011, l’installation de ce compteur de nouvelle génération est généralisée dans tout l’Hexagone depuis décembre 2015. En tout, 35 millions de foyers ont été équipés jusqu'en fin 2022. Après une phase de test auprès de 50 000 clients dans 24 communes pilotes, l’équivalent pour le gaz naturel, Gazpar, a été déployé par GRDF entre 2017 et 2022 partout dans l’Hexagone. 11 millions de consommateurs de gaz naturel ont ainsi été équipés à l’horizon 2022.

Le contexte réglementaire européen

Parlement européen
Dans l'hémicycle du Parlement européen

La mise en place d’un marché unique de l’énergie est une des grandes préoccupations de l’Union européenne… et aussi l’une des plus anciennes ! Car l’idée n’est pas nouvelle et trouve son fondement dans le traité de Paris de 1951 qui a donné naissance à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) mais aussi dans le traité Euratom pour une Communauté européenne de l’énergie atomique en 1957. Dans la déclaration de Messine en 1955, les ministres européens s’accordaient déjà pour « développer les échanges de gaz et de courant électriques propres à augmenter la rentabilité des investissements et à réduire le coût des fournitures » et « pour coordonner les perspectives communes de développement de la production et de la consommation d’énergie et pour dresser les lignes générales d’une politique d’ensemble ».

Un vieux projet qui trouvera notamment son apogée en 2007 avec la libéralisation du marché de l’énergie dans l’Union européenne. Pour harmoniser et libéraliser le marché intérieur européen de l’énergie, trois ensembles législatifs ont été adoptés entre 1996 et 2009. Dans le cadre du troisième paquet énergie, deux directives européennes sur le gaz et l’électricité (2009/72/CE et 2009/73/CE) obligent les États membres à préparer un calendrier pour le déploiement progressif de compteurs intelligents sur leur territoire. La même année, la directive 2002/91/CE sur la performance énergétique des bâtiments demande aux États membres de développer des plans nationaux pour l’installation de compteurs intelligents. Et pour aller encore plus loin, la directive relative à l’efficacité énergétique (2012/27/UE) adoptée en 2012 soutient le développement de services énergétiques fondés sur des données provenant de compteurs intelligents...

Zoom sur le troisième paquet énergie
Le troisième paquet énergie prévoit que les États membres déploient sur leurs territoires respectifs des compteurs intelligents, dès lors que les premières expérimentations ont donné lieu à une analyse coût/avantages positive. L’objectif est ainsi d’équiper au moins 80% des consommateurs d’ici à 2020. Cependant, aucun objectif de mise en œuvre précis n’est fixé pour les compteurs intelligents dédiés au secteur du gaz bien que la note interprétative sur les marchés de détail prévoit qu’elle devrait être réalisée dans un « délai raisonnable ».

Le déploiement des compteurs intelligents dans l’Union européenne : où en est-on en 2016 ?

smart grids
© Commission européenne

Difficile pour un projet d’une telle envergure de passer comme une lettre à la poste… Et pour cause, malgré un engagement continu de l’Union européenne, le marché unique de l’énergie est aujourd’hui loin d’être une réalité : 28 États membres, c’est autant d’intérêts différents, de problématiques énergétiques diverses et de technologies variées… Dès le printemps 2012, alors que les États membres doivent remettre leur analyse coût/avantages à la Commission européenne, le bruit court que le déploiement des compteurs intelligents serait potentiellement plus complexe que prévu. Le chef d’unité « marché intérieur » de la Direction Générale Énergie à la Commission européenne, Jan Panek, indique alors que « des investissements supplémentaires sont nécessaires : 50 milliards d’euros pour 250 millions de compteurs intelligents d’ici 2020 et 480 milliards d’euros pour mettre à jour le reste du réseau d’ici 2030 ».

La seule installation des compteurs intelligents pour l’électricité dans l’Union européenne représentera près de … 196 millions de compteurs pour près de 45,5 billions d’euros d’investissements au total dans l’ensemble des 28 États membres !

Et si certains commentateurs grincent des dents quant aux coûts élevés du projet, c’est surtout l’adhésion des États membres au déploiement des compteurs intelligents qui fait des remous. Sont-ils tous d’accord ? Non. D’après les nombreuses analyses coût/avantages remises par les États membres à la Commission européenne en 2012, seuls deux tiers des États membres ont présenté de bons résultats pour l’électricité contre un tiers seulement pour le gaz naturel… Un clivage important se fait notamment jour entre les États membres fondateurs de l’Union européenne et les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) qui représentent les nouveaux entrants. Ces derniers seraient, en effet, moins réceptifs à la technologie des smart grids, en raison de leur retard à la fois économique et technologique sur les pays d’Europe de l’Ouest.

Les smart grids en Europe
Localisation des projets de smart grids dans l'Union européenne entre 2001 et 2014- © Smart Grid Projects Outlook 2014

Smart meter en anglais, slime meter en néerlandais, intelligenter Zähler en allemand, etäluettava sähkömittari en finlandais ou encore inteligentny licznik en polonais... le compteur intelligent se dit dans toutes les langues de l’Union européenne !

Un déploiement très inégalitaire des compteurs intelligents selon les États membres

Tour d'horizon européen

drapeaux européens

Dans son rapport sur les projets smart grids publié en 2014 (Smart Grid Projects Outlook), le Centre commun de recherche montre le caractère très hétérogène du déploiement des compteurs intelligents dans les États membres. Seules l’Italie et la Suède ont déjà finalisé l’installation de compteurs de nouvelle génération sur leurs territoires. Les autres États membres présentent des états d’avancement particulièrement hétérogènes : certains comme l’Allemagne, la Slovaquie ou la Lettonie ne se sont décidés que pour un déploiement partiel des compteurs intelligents en raison d’une analyse coût/avantages négative. D’autres n’ont toujours pas rendu publique leur position officielle sur les compteurs intelligents – c’est le cas de la Pologne ou de la Hongrie malgré une analyse coût/avantages positive. Mais la majorité des États membres a accepté la généralisation des compteurs de nouvelle génération sur leurs territoires – un déploiement qui est opéré progressivement en France, au Royaume-Uni, en Autriche ou encore aux Pays-Bas...

compteurs intelligents dans l'UE
L'état d'avancement du déploiement des compteurs intelligents - © Commission européenne

L’avancement du déploiement des compteurs intelligents pour l’électricité

  • Seuls 2 États membres ont déjà procédé au déploiement à grande échelle des compteurs intelligents : l’Italie et la Suède ;
  • 14 États membres sont en cours de déploiement : Autriche, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni ;
  • 4 États membres se sont positionnés contre le déploiement des compteurs intelligents, notamment en raison d’une analyse coût/avantages négative : Portugal, République tchèque, Belgique et Lettonie ;
  • 3 États membres vont procéder à un déploiement partiel en raison d’une analyse coût/avantages négative : Allemagne, Slovaquie ;
  • 6 États membres n’ont pas encore pris de décision, ont tardé à prendre une décision ou sont en attente d’une décision officielle : Pologne, Roumanie, Slovénie, Hongrie, Bulgarie, Chypre, Malte.

La plupart des États membres ont déjà légiféré sur les compteurs intelligents, offrant un cadre juridique à l’installation ou réglementant le calendrier de déploiement. En France, les compteurs intelligents sont notamment inscrits dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. La Belgique, la Bulgarie, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie tardent quant à eux à établir un cadre législatif afférent.

L’avancement du déploiement des compteurs intelligents pour le gaz naturel

Les compteurs intelligents pour le gaz naturel connaissent un moindre succès. Dans le cadre de son Analyse comparative du déploiement de compteurs intelligents publiée en 2014, la Commission européenne observe que seuls cinq États membres ont décidé de mettre en place des compteurs intelligents d’ici 2020, voire plus tôt : Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni. Ils ont depuis été rejoints par la France qui vient d’entamer la phase d’expérimentation de Gazpar, le compteur de nouvelle génération destiné au gaz naturel. 11 millions de foyers devraient être équipés d’ici 2022 dans l’Hexagone. Quant à l’Autriche, elle prévoit également un déploiement à grande échelle des compteurs intelligents pour le gaz mais doit prendre encore une décision officielle.

Dans 12 États membres, l’analyse coûts/avantages s’est révélée négative : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Lettonie, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Suède.

N.B. Il n’y a pas de réseau gazier à Chypre et à Malte.

Données chiffrées du déploiement des compteurs intelligents électriques dans 23 États membres
État membreCoût global du projet 
(en milliards d'euros)
Nombre de compteurs intelligents
(en millions)
Coût global par compteur
(en euros)
Bénéfices par compteur
(en euros)
Allemagne14,547,9546493
Belgique4,595,97NDND
République tchèque4,45,7766499
Danemark0,313,28225233
EspagneND27,77NDND
EstonieND0,7110191
Finlande0,693,3210 ND
France4,535135ND
Grèce1,77309436
Irlande1,042,2473551
Italie3,436,794176
Lettonie0,751,0930218
Lituanie0,251,612382
Luxembourg0,0350,26142162
MalteND0,26NDND
Pays-Bas3,347,6220270
Pologne2,216,5167177
Portugal0,646,599202
Roumanie0,7199977
Royaume-Uni9,33,9161977
Slovaquie0,0692,65114118
SlovénieNDNDNDND
Suède1,55,2288323

Source : Commission européenne

Zoom sur les bons élèves : l’Italie et la Suède

Le secret des Italiens et des Suédois ? Ils ont précédé les directives européennes ! Dans la péninsule italienne comme au royaume de la social-démocratie, des études sur l’intérêt des compteurs intelligents ont été menées dès l’explosion de la bulle internet et bien avant que ne soient prononcés les mots de « compteurs de nouvelle génération » à Bruxelles...

Italie

En Italie, Enel (société italienne d’électricité privatisée en 1999) a commencé à déployer un système de comptage évolué dès 2001 auprès de 30 millions de clients pour un investissement global de 2,1 milliards d’euros. Ces compteurs de nouvelle génération, installés dans le cadre du projet Telegestore, ont permis aux consommateurs de bénéficier d’offres tarifaires variées, grâce à plusieurs plages temporelles, ou encore d’agir sur leur compteur à distance, à travers le principe de la télégestion.

Cela étant, la relève des données de consommation par un technicien a été maintenue une à deux fois par an. Les compteurs de nouvelle génération italiens ont été développés par Enel et ses partenaires puis confectionnés en Chine. L’électricien italien espère un amortissement de l’ordre de 500 millions d’euros ; il a déclaré avoir déjà rentabilisé son investissement grâce aux gains permis par... la réduction de la fraude.

Suède

Clairvoyante, la Suède a mené quant à elle des études sur les compteurs intelligents dès 2001. Dans la première décennie 2000, le principe d’une facturation mensuelle sur la base de données de consommations réelles a en effet créé un appel d’air et le déploiement de compteurs de nouvelle génération, alors jugé nécessaire, est opéré en 2009. 5,3 millions de compteurs ont été installés et ont notamment permis la mise en place de l’auto-relève à distance. Mais le gouvernement suédois envisage de rentabiliser les investissements engagés par une hausse des tarifs d’utilisation des réseaux...

La position ambiguë de l’Allemagne

Allemagne
Le siège de la Bundesnetzagentur à Bonn

L’Allemagne est le seul pays d’Europe de l’Ouest à ne pas procéder à la généralisation des compteurs intelligents sur son territoire. En la matière, les acteurs de l’énergie outre-Rhin ne se cachent pas pour critiquer ouvertement les compteurs de nouvelle génération. Dans une note intitulée Smart grids and Smart market, la Bundesnetzagentur (régulateur de l’énergie au niveau fédéral) observe ainsi que les compteurs intelligents ne joueront qu’un rôle mineur dans le développement de l’intelligence des réseaux de distribution et ne constituent en rien une solution ultime.

Les dirigeants allemands ont dès lors fait le choix d’un déploiement partiel sur leur territoire, ne rendant les compteurs intelligents obligatoires que pour les nouveaux bâtiments ou les bâtiments rénovés (depuis 2010), les consommateurs dont la consommation d’énergie est supérieure à 6000 kWh (depuis 2012) ou les installations d’énergies renouvelables supérieures à 7 kW (depuis 2012).

Les Allemands, particulièrement attentifs à la question de la protection des données personnelles, ont fait de ce sujet leur cheval de bataille : comme en France, la sécurité des données est une préoccupation majeure dans le cadre de l’installation des compteurs intelligents.

Mais les consommateurs allemands souhaitant à tout prix disposer d’un compteur de nouvelle génération peuvent se tourner vers les fournisseurs alternatifs. Ainsi, Yellowstrom a lancé dès 2009 un compteur intelligent au design moderne et de couleur jaune. Selon Martin Vesper, directeur général de l’entreprise, « les clients exigent aujourd’hui plus de transparence, à la fois en termes de consommation électrique et de coûts. Le compteur intelligent rend la consommation visible. »

Le saviez-vous ? L’Allemagne est le premier consommateur d’électricité dans l’Union européenne et c’est aussi le premier pays émetteur de CO2. Les prix de l’électricité outre-Rhin sont parmi les plus chers en Europe.