pénurie de gaz

Quelles options s'offrent à la France en cas de pénurie de gaz cet hiver ?

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La guerre en Ukraine a remis la lumière sur deux problématiques majeures : la dépendance de l'Union européenne au gaz russe et la volonté des 27 de s'en affranchir rapidement. Le gaz étant utilisé aussi bien tel quel que pour la production de l'électricité, une pénurie engendrerait une situation très complexe pour les consommateurs de l'Hexagone. Alors, qu'arriverait-il si le gaz venait à manquer en France à l'hiver prochain ? Voici les solutions alternatives du gouvernement à l'heure actuelle.

Crise géopolitique, sécurité d’approvisionnement, stocks de gaz : un contexte difficile

Une crise énergétique inédite

L'Europe vit une crise géopolitique - et par rebond énergétique - majeure.

Depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, les sanctions économiques et financières sont devenues monnaie courante. D'un côté, les 27 légifèrent pour limiter, voire supprimer, les importations de pétrole russe. De l'autre, la Russie réduit ses exportations de gaz, jusqu'à les stopper totalement : c'est déjà le cas en Pologne et en Bulgarie depuis le 27 avril, date à laquelle le groupe gazier russe Gazprom a gelé l'approvisionnement en gaz pour ces deux pays européens. Ces sanctions sont vouées à faire pression sur l'Europe pour qu'elle cesse d'envoyer de l'aide à l'Ukraine.

Un contexte complexe qui pourrait entraîner des pénuries de gaz et par conséquent d'électricité dès l'hiver 2022-2023, quand les Français auront besoin d'énergie pour se chauffer et faire fonctionner les industries.

Avant la guerre en Ukraine, la Russie couvrait environ 40 % de la consommation européenne de gaz. Ce chiffre descendait à près de 20 % pour la France, une part plus basse, mais loin d'être négligeable. Si notre pays n'est pas le plus dépendant au gaz russe, il doit tout de même développer des pistes d'approvisionnement viables pour compenser le manque à gagner futur. Une pénurie entraînerait en effet de lourdes conséquences pour les ménages, comme pour les entreprises et les industries françaises.

Le diagramme ci-dessous illustre bien les disparités entre les pays européens concernant le degré de dépendance au gaz russe :

La production d'électricité, déjà fragilisée par la mise à l'arrêt de douze réacteurs nucléaires à cause d'un défaut de corrosion et par la sécheresse qui réduit le remplissage des barrages hydroélectriques, doit également être surveillée de près : l'arrêt des importations de gaz russe viendraient se surajouter à ces difficultés conjoncturelles.

Dans cette situation qui offre peu de visibilité, le gouvernement n'a d'autre choix que de préparer des solutions alternatives au gaz russe.

Des stocks de gaz en cours de remplissage

Face à un risque de pénurie, la France est obligée de diversifier ses sources d'approvisionnement, de développer son autosuffisance sur une période donnée et, bien évidemment, de s'assurer que les stocks de gaz sont remplis de façon optimale. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, expliquait sur Franceinfo le 24 mai 2022 : "L'enjeu de l'été, c'est de remplir les stockages correctement".

Alors que le remplissage des stocks de gaz français étaient descendus sous la barre des 20 % en mars 2022, il a rapidement augmenté pour atteindre plus de 50 % fin mai.

Aujourd'hui, les stocks français sont remplis à 63,6 %. Bien que la dynamique de forte hausse soit habituelle en début d'été, ce chiffre est largement plus élevé qu'en 2021 à la même période (49,73 %). Cela témoigne de l'accent qui est mis sur l'objectif de remplissage des stocks de gaz en cette époque d'incertitude énergétique.

Comment se portent les stocks de gaz de nos voisins européens ? Si l'Union Européenne a rempli exactement 58,92 % de ses réserves, de fortes disparités entre les États demeurent. Ainsi, l'Allemagne se situe à peu près au même niveau que la France avec 61,85 % de remplissage, tout comme l'Italie (59,85 %). Le Portugal et la Pologne arrivent largement en tête, avec des réserves presque pleines (respectivement 100 % et 97,46 %). En revanche, la situation s'avère plus difficile pour l’Autriche (45,58 % de remplissage) et la Bulgarie (35,27 %), entre autres1.

Pourtant, le Président Emmanuel Macron affirmait récemment : "Il n'y aurait aucune coupure" cet hiver, puisque "quand il y a des besoins, on s'approvisionne sur le marché européen" (interview accordée à Ouest France le 3 juin 2022).

1Source : Historical remit storage data - EU, AGSI GIE, chiffres constatés le 2 juillet 2022.

Les stocks français de gaz suffiront-ils à couvrir les besoins en consommation pour l’hiver ?

Stocks de gaz en hiver : la CRE optimiste

La France s'est engagée dans une course contre la montre pour parvenir à combler ses stocks de gaz d'ici à l'hiver prochain. Actuellement, ils sont remplis à 63,6 %, un chiffre qui continue à grimper jour après jour. Cela équivaut à plus de 83 TWh. Il faut savoir qu'en France, près de 450 TWh de gaz sont consommés chaque année. L'objectif français est de remplir à au moins 80 % les capacités de stockages d'ici à novembre 20222.

Alors que le président de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE), Jean-François Carenco, s'inquiétait de la sécurité d'approvisionnement énergétique au début de la guerre en Ukraine, il tient désormais un discours rassurant. Le 1er juin 2022, il annonçait sur BFM que la France était "à même, compte tenu des mesures qui ont été prises, de supporter une coupure du gaz russe". Selon lui, il existe des "solutions possibles" pour résoudre les éventuels "problèmes" et manques à gagner.

Même dans ses discours de communication institutionnelle, la CRE se veut optimiste. Sa solution : anticiper largement l'hiver à venir.

"La CRE, en coordination avec le gouvernement, travaille à l'adaptation de la régulation des opérateurs de stockage pour répondre aux enjeux de ce nouveau contexte. (...) Le bon niveau de souscription des stockages pour l'hiver 2022-2023, la dépendance limitée au gaz russe et l'accès aux approvisionnements en gaz norvégien et en gaz naturel liquéfié, permet à la France d'aborder plus sereinement que nombre de ses voisins la campagne de remplissage des stockages qui commence"2.

2Source : Historical remit storage data - EU, AGSI GIE, chiffres constatés le 2 juillet 2022.

Les fournisseurs mettent en garde les Français

Malgré des propos résolument optimistes, des voix s'élèvent pour faire émerger une prise de conscience quant aux risques qui guettent les consommateurs Français pour l'hiver prochain.

"La meilleure énergie reste celle que nous ne consommons pas", affirmaient les dirigeants de TotalEnergies (Patrick Pouyanné), d'EDF (Jean-Bernard Levy) et d'Engie (Catherine MacGregor) dans une tribune commune inédite parue dans le Journal du Dimanche le 26 juin 2022. Les trois énergéticiens appellent ainsi à une "prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que chacun d'entre nous - chaque consommateur, chaque entreprise - change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers".

Cet appel à la sobriété arrive comme un signal d'alarme, alors que cette notion se développe de plus en plus largement dans la société, malgré des difficultés à y prendre racine.

Les stratégies de la France en cas de stocks insuffisants

La stratégie française est basée sur une anticipation maximale des scénarios possibles. Dans ce cadre, l'État a donc mis en place plusieurs plans alternatifs pour faire face à un manque de gaz durant l'hiver prochain.

Trois options sont envisagées :

  • L'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) en plus grandes quantités : Engie et l'américain Nextdecade ont déjà signé un contrat pour 1,75 million de tonnes de GNL livrées en France entre 2026 et 2041. Cette solution requiert toutefois de créer des terminaux méthaniers adaptés pour accueillir et regazéifier le GNL. Un projet de navire terminal méthanier dans le port du Havre, en collaboration avec Engie et TotalEnergies, est en cours de développement. Le problème, c'est que le GNL est issu d'un procédé qui impacte fortement l'environnement, ce qui en fait une solution peu durable et non écologique ;
  • L'augmentation de la part d'énergies renouvelables dans le mix énergétique français et européen : le plan REPowerEU prévoit ainsi d'injecter 113 milliards d'euros pour déployer massivement les EnR, et notamment l'énergie solaire, dans l'UE. Par exemple, tous les bâtiments publics et commerciaux de plus de 250 m2 et les nouveaux bâtiments résidentiels devront être dotés de panneaux solaires sur toiture. D'autre part, les délais d'obtention de permis d'installation pour les infrastructures solaires et éoliennes seront réduits ;
  • La démarche de sobriété énergétique : des gestes de réduction des consommations provenant de tous les consommateurs, particuliers, professionnels, industriels et corps d'État, c'est une solution immédiate pour réduire le risque de manquer de gaz durant l'hiver. Selon Fatih Birol, directeur exécutif de l'AIE (Agence Internationale de l'Énergie), "ces suggestions sont pratiques, faciles à mettre en oeuvre et ont déjà été appliquées à plusieurs reprises dans des contextes différents"3.

La nouvelle loi sur le pouvoir d’achat organise la souveraineté énergétique de la France La loi sur le pouvoir d’achat sera examinée par l'Assemblée nationale à partir du 18 juillet 2022. Elle prévoit notamment un volet sur l'indépendance énergétique de la France, qu'elle entend articuler autour de quatre axes : la réquisition des centrales à gaz, le remplissage forcé des stockages, les dérogations pour accélérer l'installation du terminal de GNL au Havre et le redémarrage de la centrale à charbon de Saint-Avold.

3Source : Les « petits gestes » peuvent avoir un gros effet pour réduire la dépendance aux énergies russes, Connaissance Des Energies, 21 avril 2022.

Plan de délestage gaz : concrètement, en quoi va-t-il consister ?

Le 8 avril 2022, le décret 2022-85 sur le délestage gaz est paru au journal officiel. Ce décret vient modifier les modalités de délestage de la consommation de gaz naturel. Il bouscule ainsi le code de l'énergie, ce qui en fait un texte-clé dans la stratégie gouvernementale d'anticipation des risques de pénurie pour l'hiver 2022-2023.

Décret de délestage de gaz : qu'est-ce que c'est ?

Ce texte a pour objectif d'autoriser les coupures ciblées de fourniture de gaz sur des sites donnés et pendant une période restreinte.

Le délestage permet d'éviter tout black-out pendant les heures de pointe, tout en privilégiant l'approvisionnement dans les lieux essentiels tels que les écoles, hôpitaux ou encore EHPAD.

Sur son site officiel, GRDF explique :

"Le délestage consiste pour le site à procéder à une diminution importante de consommation en moins de 2h. C’est une obligation réglementaire qui s’impose à tous les clients sollicités par GRDF dans le cadre des textes en vigueur"

Ce décret est également basé sur une large étude auxquelles tous les acteurs concernés peuvent répondre pour présenter les difficultés liées à un éventuel délestage. Cela permettra à GRDF d'activer le délestage en priorité chez les gros consommateurs les moins impactés.

Le délestage gaz s'applique-t-il aux particuliers ?

Non : le délestage de consommation gaz ne concerne que les très gros consommateurs de gaz, c'est-à-dire ceux qui consomment plus de 5 GWh par an (qu'ils soient connectés aux réseaux de transport GRTgaz, Téréga ou GRDF).

Cela représente près de 5 000 consommateurs, tels que :

  • Les producteurs d'électricité qui sont équipés d'une unité de production au gaz ;
  • Les très grands sites industriels (chimie, pétrochimie, verrerie, métallurgie, etc) ;
  • Les stades, salles de spectacles et grands centres commerciaux dotés d'une chaudière à gaz ;
  • Les grands bâtiments tertiaires et résidentiels équipés d'une chaudière à gaz.

Ces acteurs pourraient donc se voir refuser la fourniture de gaz en moins de deux heures pour assurer la sécurité du réseau pendant les heures de pointe de consommation.

Cependant, certains acteurs pourraient être plus fortement impactés que d'autres : c'est notamment le cas des producteurs d'électricité de pointe qui ont besoin du gaz pour sécuriser le réseau électrique français, des acteurs qui assurent des missions de sécurité, de défense et de santé, ou encore des industries qui pourraient subir des dommages économiques majeurs si leur approvisionnement était fortement réduit ou arrêté.

Les mesures de délestage seront appliquées en priorité aux industriels gazo-intensifs tels que les tuileries, aciéries, papetiers, chimistes et plusieurs entreprises du tertiaire.

Les ménages, eux, pourront adopter une démarche de sobriété énergétique permettant de réduire les besoins de consommation de gaz naturel. Pour ce faire, il est par exemple possible de baisser son chauffage de trois degrés.

L’électricité sera-t-elle concernée par le décret de délestage ? Il est déjà possible d'interrompre immédiatement la fourniture d'électricité sur 18 sites considérés comme étant de très gros consommateurs, afin d'éviter un black-out. Les sites concernés reçoivent une contribution financière proportionnelle à leur puissance effaçable. Tout ce dispositif est intégré dans un contrat avec RTE (Réseau de Transport d'Électricité).

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