Pourquoi l'Autorité de la Concurrence veut supprimer le tarif réglementé d'électricité d'EDF ?
Dans un rapport publié en novembre 2024, l'Autorité de la Concurrence demande la suppression du tarif réglementé d'électricité d'EDF. Quelles sont les raisons qui poussent cette autorité administrative indépendante à formuler une telle recommandation ? L'État a-t-il choisi de suivre cet avis, malgré la popularité historique des tarifs réglementés, et quelles conséquences pour l'ensemble du marché de l'électricité ?
Le tarif réglementé d'électricité est un frein à la concurrence

Dans un rapport publié en novembre 2024, l'Autorité de la Concurrence estime que le tarif réglementé d'électricité, hérité d'un passé monopolistique, continue d'exercer une influence dominante sur le marché de la vente au détail d'électricité. Selon les derniers chiffres publiés par la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE), près de 59 % des ménages sont encore au tarif réglementé pour leur contrat d'électricité.
S'ils ont longtemps servi à garantir une certaine stabilité et à protéger certains consommateurs, l'Autorité de la Concurrence estime aujourd'hui que ces tarifs freinent la concurrence. Leur mode de fixation, notamment basé sur un lissage des coûts sur deux ans, limite la capacité des fournisseurs de marché à proposer des offres innovantes et véritablement compétitives.
Une distorsion des prix
Le recours au lissage des coûts sur une période de deux ans entraîne une déformation importante du signal de prix, qui devrait normalement refléter en temps réel les variations du marché de gros de l'électricité. Selon l'Autorité de la Concurrence, ce mécanisme crée un écart entre le tarif réglementé et les conditions actuelles du marché.
Ce décalage se traduit par une réactivité limitée face aux évolutions tarifaires. Par exemple, durant une phase de baisse des prix de gros, les tarifs réglementés, figés par ce lissage, ne suivent pas immédiatement la diminution des coûts. Inversement, lorsque les prix augmentent, ce lissage atténue la hausse ressentie par le consommateur.
Du point de vue concurrentiel, cette méthode rigidifie la formation des prix. Les concurrents d'EDF, cherchant à proposer des offres alignées sur les variations réelles, se voient obligés de comparer leurs tarifs à une référence désuète, qui ne traduit pas la volatilité immédiate du marché.
De plus, le signal de prix déformé détourne l'attention des consommateurs du véritable coût de l'électricité, ce qui peut conduire à des comportements qui ne sont pas adaptés à la situation réelle et limiter l'efficacité de mécanismes incitatifs tels que les offres dynamiques et les tarifs différenciés.
Un héritage historique pesant
Créés dès l'après-guerre pour assurer un approvisionnement universel, les tarifs réglementés ont longtemps constitué le socle de la relation entre EDF, fournisseur historique, et ses clients.
Depuis la loi NOME de 2010, leur périmètre s'est progressivement réduit, mais leur maintien sur le marché domestique continue de renforcer la position d'EDF. Cela empêche l'entrée effective de concurrents et limite la dynamisation du secteur.
Le bouclier tarifaire comme preuve que le tarif réglementé ne protège pas assez
Bien que le tarif réglementé ait été conçu pour offrir une stabilité en période de volatilité, il prouve ses limites lorsque les coûts d'électricité connaissent une hausse soudaine, comme lors de la crise énergétique entre 2021 et 2023.
La mise en place du bouclier tarifaire, financé par la baisse de l'accise sur l'électricité, illustre les insuffisances de ce dispositif pour protéger les consommateurs. Face à une augmentation soutenue des coûts d'approvisionnement et aux fortes fluctuations du marché de gros, le tarif réglementé, figé par un lissage sur deux ans, ne parvient pas à absorber pleinement ces variations.
Ce mécanisme compensatoire, instauré pour atténuer l'impact immédiat sur les factures, masque la véritable évolution des coûts et révèle que, sans cette mesure exceptionnelle, la protection serait insuffisante.
Selon l'Autorité de la Concurrence, une protection efficace devrait reposer sur des ajustements dynamiques en phase avec les conditions de marché, plutôt que sur un arrangement ponctuel réduisant l'accise.
Des interventions de l'État qui faussent la concurrence
La fixation des tarifs réglementés repose en partie sur la composante TURPE (tarif de l'acheminement de l'électricité), dont le niveau influe directement sur le coût final de l'électricité. Cependant, en juillet 2024, le gouvernement a sollicité à la CRE de retarder l'intégration de la prochaine augmentation du TURPE au 1ᵉʳ février 2025 afin d'éviter qu'une hausse ne soit immédiatement répercutée sur le tarif réglementé.
Cette intervention étatique se traduit par une prise en compte retardée de la hausse des coûts, ce qui désavantage les offres de marché, lesquelles doivent intégrer ces nouveaux frais dès leur révision, faussant ainsi le mécanisme de concurrence naturel.
Voici d'autres interventions de l'État dans le niveau de niveau du tarif réglementé relevées par l'Autorité de la Concurrence :
Date | Intervention de l'État |
---|---|
1er mars 2019 | Hausse de 5,9 % du niveau moyen TTC repoussée au 1er juin dans le contexte de la crise des gilets jaunes. |
1er février 2022 | Hausse prévue de 35,4 – 35,9 % du niveau TTC moyen bloquée à 4 % par le bouclier tarifaire (baisse de la TICFE, plafond ARENH relevé, refus des mouvements tarifaires). |
1er août 2022 | Hausse prévue de 3,56 – 3,92 % du niveau TTC moyen refusée par le Gouvernement. |
1er février 2023 | Hausse prévue de 97,94 – 99,36 % du niveau TTC moyen bloquée à 15 % par le bouclier tarifaire (le Gouvernement augmente toutefois leur niveau de 10 % au 1er août 2023). |
1er février 2024 | Le bouclier tarifaire limite à 10 % la hausse du niveau TTC pour les clients résidentiels en agissant sur le tarif de l'accise, qui n’a pas retrouvé le niveau de 2019 des impôts et taxes remplacés. |
1er août – 1er novembre 2024 | Hausse consécutive à la révision du TURPE repoussée au 1er février 2025, à la demande du gouvernement. |
Rapport d’évaluation du 12 novembre 2024 sur le dispositif des tarifs réglementés de vente d’électricité
Bénéfices de supprimer le tarif réglementé d'électricité
Selon l'Autorité de la Concurrence, la suppression des tarifs réglementés permettrait d'aligner les prix sur les conditions économiques réelles. Ce recentrage favoriserait l'émergence d'offres innovantes de la part des fournisseurs alternatifs et stimulerait une concurrence saine.
Sans la régulation imposée par le tarif réglementé, les prix refléteraient plus fidèlement les coûts effectifs de production et de distribution, ce qui offrirait une meilleure transparence au consommateur et encouragerait des ajustements tarifaires plus réactifs.
Par ailleurs, éliminer ce système permettrait de concentrer les dispositifs de soutien sur les consommateurs les plus vulnérables, tout en libéralisant le marché pour favoriser des offres concurrentielles et dynamiques.
L'État s'oppose à la suppression du tarif réglementé d'électricité
Le rapport d'évaluation des ministres chargés de l'Économie, publié le 17 février 2025, souligne que la suppression des tarifs réglementés pour les consommateurs résidentiels et les microentreprises s'avère incompatible avec les objectifs d'intérêt général. Selon ce rapport, ces tarifs assurent non seulement une stabilité des prix et une sécurité d'approvisionnement, mais également une cohésion territoriale, notamment dans les zones non interconnectées (ZNI).
Le cœur de cet argument repose sur le mécanisme de lissage sur 24 mois, qui amortit les fluctuations du marché de gros. Pendant la crise énergétique survenue après le dernier trimestre 2021, ce lissage a joué un rôle déterminant pour protéger les petits consommateurs, souvent moins aptes à gérer les variations brutales du marché non régulé.
L'évaluation ministérielle note également que la préservation des tarifs réglementés permet d'assurer un même prix de l'électricité entre la métropole et les ZNI, où les coûts de production et d'acheminement sont plus élevés et variés. Cela garantit une certaine équité dans l'accès à l'électricité.
En outre, le maintien du tarif réglementé favorise l'électrification des usages et soutient les politiques de décarbonation et de souveraineté énergétique, en offrant aux ménages et aux petites entreprises des prix prévisibles pour planifier leurs investissements.
Finalement, l'État met en garde contre la suppression du tarif réglementé, qui risquerait de priver le marché d'une référence indispensable à la protection des consommateurs.