En 2040, le réseau pourra-t-il tenir la consommation des véhicules électriques ?
« Nous annonçons la fin de la vente des voitures à essence et diesel d’ici à 2040 », déclarait Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire, lors du lancement du Plan climat de la France le 6 juillet 2017. Une annonce dans la lignée de celles de la Norvège, des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Ces Etats souhaitent interdire la vente de ces mêmes véhicules, ou n’autoriser que ceux à zéro émission, dès 2025 pour certains, en 2040 au plus tard pour les autres. Dans l’Hexagone, cette déclaration a soulevé de nombreuses interrogations. A commencer par les technologies de motorisation qui remplaceraient celles amenées à disparaître.
Selon nos estimations, la consommation des véhicules électriques en 2040 serait située entre la consommation électrique d’une région comme la Normandie et PACA
Fin de la commercialisation de véhicules essence et diesel : un boulevard pour l’électrique
« Aujourd’hui, la question semble concerner plus l’électricité que le gaz ou l’hydrogène », indique Robin Osmont de l’Union française de l’électricité (UFE), association professionnelle du secteur de l’électricité. Pour l’expert, la production d’hydrogène est encore trop chère à produire, voire polluante quand elle est réalisée à partir d’hydrocarbure. De plus, la technologie actuelle génère des coûts élevés qui impactent lourdement le prix des voitures. Quant aux autres gaz, notamment le biogaz, ils seraient plutôt destinés aux poids lourds. L’avenir de la voiture semble ainsi promis à l’électrique, en grande partie du moins au vu de l’évolution actuelle du marché. Les récentes annonces des grands constructeurs mondiaux abondent dans ce sens. Selon Reuters, ils comptent engager 90 milliards de dollars (74 milliards d’euros) dans le développement de voitures électriques dans les cinq prochaines années. Des dizaines de nouveaux modèles seraient commercialisés. Une offre qui s’étoffera et des ventes qui se renforceront dans les décades à venir.
Selon nos calculs, une voiture électrique consommerait 1 800 kWh par an en moyenne en 2040
La consommation des véhicules électriques varie en fonction de l’usage et de la vitesse, comme pour les véhicules thermiques. Une Zoé, par exemple, embarque 41 kWh d’énergie. Elle affiche 400 km d’autonomie en cycles d’homologation (NEDC, New European Driving Cycle, soit Nouveau Cycle de Conduite Européen). « En usage réel, c’est plutôt 300 km en ville et sur route à une vitesse inférieure à 100 km/h. A 130 km/h, il faut encore déduire 70 km d’autonomie », nous éclaire Joseph Bereta, président de Avere-France, association nationale pour le développement de la mobilité électrique. « Et en hiver, un véhicule électrique voit son autonomie réduite. En effet, le chauffage est fourni par la batterie, contrairement aux modèles thermiques qui récupèrent la chaleur émise par le moteur ». Qu’on se rassure quant à l’autonomie des voitures en 2040. Comme le confirme le président d’Avere-France, elle devrait disposer d’une autonomie de 500 à 600 km NEDC. Cela correspond à un niveau d’équilibre tant économique (prix des batteries/autonomie) que technique (masse du véhicule/autonomie). C’est aujourd’hui le niveau d’autonomie de voitures haut de gamme, comme les Tesla.
Au total, une voiture électrique consommerait donc au maximum entre 13 et 20 kWh pour 100 km, soit 0,17 kWh/km en moyenne environ. Or, selon l’INSEE, les voitures particulières ont parcouru 13 274 km en moyenne en 2016. En supposant que nous resterions à ce niveau de kilométrage, une voiture électrique consommerait ainsi 2 257 kWh par an en moyenne. Joseph Bereta fait une estimation un peu à la baisse : « Dans le futur, la consommation baissera. Des pompes à chaleur optimiseront le chauffage. L’éclairage LED sera généralisé. Le poids des véhicules et les frottements seront réduits. Il y aura sans doute des toits photovoltaïques. Tout cela contribuera à abaisser la consommation de 20% ». Ceci ramènerait la consommation à 1800 kWh/an environ. Reste à savoir combien de véhicules électriques circuleront en 2040 pour évaluer les besoins en électricité.
En 2040, le parc de véhicules électriques pourrait atteindre 15,6 millions véhicules
« Nous avons établi quatre scénarii à l’horizon 2035. Ceux-ci tablent sur un parc de véhicules électriques compris entre 5,5 et 15,6 millions » - RTE
Le parc automobile électrique de 2040 est la grande inconnue de notre équation. Si à cette date, les ventes seront exclusivement des voitures à batterie ou hybrides rechargeables, cela ne signifie pas que le parc aura été entièrement converti. Aujourd’hui, il y a 32,2 millions de voitures particulières en circulation en France (chiffre 2016 de l’INSEE). En 2017, il s’est écoulé 41 724 voitures électriques, portant le parc électrique à 152 354 selon Avere-France, soit 0,5% du parc total. Toutefois, au cours des prochaines décennies, les ventes de voitures électriques vont s’accélérer chaque année. « En 2030, une étude faite avec la Fondation pour la Nature et l’Homme estime à 4 millions le nombre de véhicules électriques », note Joseph Bereta, « Si nous disposons de 4 millions de véhicules électriques en 2030, on peut les estimer de 10 à 12 millions en 2040 ».
Dans un communiqué vantant son offre dédiée aux véhicules électriques, EDF les chiffrait à 14 millions à la même échéance. RTE, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine, a, quant à lui, émis des hypothèses dans son « Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France, édition 2017 ». « Nous avons établi quatre scénarii à l’horizon 2035. Ceux-ci tablent sur un parc de véhicules électriques compris entre 5,5 et 15,6 millions », détaille RTE. Des scénarii jugés plausibles par négaWatt, association indépendante à but non-lucratif qui rassemble des experts de l’énergie et milite pour un avenir énergétique sûr et respectueux de l’environnement. Pour estimer la consommation des véhicules électriques et les moyens d’y répondre, nous pouvons nous appuyer sur les deux scénarii de RTE, intitulé Ampère et Hertz, présentant le plus grand nombre de voitures. Les 15,6 millions pris en compte étant le chiffre le plus proche de ceux annoncés par nos autres interlocuteurs.
Avec 15,6 millions de véhicules consommant en moyenne 1800 kWh par an, nous obtenons 28 TWh d’électricité annuelle.
Le réseau peut-il résister à une augmentation de la consommation de 28 à 34 TWh ?
« 15,6 millions de véhicules électriques, cela représenterait 34 TWh, soit 7% de la consommation finale d’électricité » - RTE
Nos moyens de production en 2040 seront-ils à même de fournir une telle quantité d’énergie ? Selon les scénarii de RTE, pas de souci. D’autant que son estimation de la quantité d’énergie nécessaire est supérieure. « 15,6 millions de véhicules électriques, cela représenterait 34 TWh, soit 7% de la consommation finale d’électricité », déclare RTE, « Même avec une part plus importante de véhicules électriques, la consommation globale resterait soit stable, soit inférieure à celle d’aujourd’hui ».
L’annonce peut surprendre. En effet, s’il s’agissait simplement d’additionner la consommation future de ces véhicules à celle globale d’aujourd’hui, il faudrait produire 34 TWh supplémentaires. Sauf qu’en 2035, et par conséquent en 2040, les consommations ne seront pas du tout les mêmes. La France est engagée dans un processus de transition énergétique dont un des piliers est la sobriété et l’efficacité énergétique. Or, d’importantes économies d’énergie vont être réalisées grâce à l’isolation des logements, la généralisation d’appareils électroménagers moins énergivores ou encore l’élimination des radiateurs électriques au profit de systèmes plus performants (pompe à chaleur) ou non-électriques. « Dans tous les cas, la consommation des véhicules sera inférieure à celle des radiateurs électriques actuelles qui représente 28% des 158,5 TWh de la consommation résidentielle », déclare RTE. Ce que confirme Marc Jedliczka, porte-parole de négaWatt : « En quantité, [la consommation des véhicules électriques] ne représente pas tant d’électricité que ça ».
Le réseau électrique en 2040 : le nucléaire à jeu égal avec les énergies renouvelables
En 2035, la consommation globale est estimée à 480 TWh par RTE. Dans le scénario Ampère, la production sera assurée quasiment à part égale par les énergies renouvelables (314 TWh) et le nucléaire (294 TWh), malgré une baisse de sa puissance installée de 14,5 GW. Cette diminution est le fait de la fermeture de 16 réacteurs de 900 MW, en sus des 2 de Fessenheim. Avec le scénario Hertz, le nucléaire fournit 252 TWh contre 243 TWh pour les énergies renouvelables. Le nucléaire décroît à 39 GW par la fermeture de 25 réacteurs de 900 et 1300 MW. Aujourd’hui, avec 63,1 GW de puissance installée, le nucléaire représente près de 75% de la production d’électricité. Demain, l’électricité sera pour moitié d’origine renouvelable selon ces scénarii.
Le mix énergétique en 2035 : moins de nucléaire et de thermique et plus d'énergies renouvelables
Type | 2016 | Scénario Ampère | Scénario Hertz |
---|---|---|---|
Eolien terrestre | 11,7 | 52 | 40 |
Eolien en mer | 15 | 10 | |
Photovoltaïque | 6,8 | 48 | 36 |
Hydraulique | 25,5 | 26 | 26 |
Nucléaire | 63,1 | 48,5 | 39 |
Autres thermiques (gaz, fioul, charbon…) | 23,7 | - | - |
Type | 2016 | Scénario Ampère | Scénario Hertz |
---|---|---|---|
Eolien terrestre | 20,7 (4%) | 115 (20%) | 88 (18%) |
Eolien en mer | 47 (8%) | 29 (6%) | |
Photovoltaïque | 8,3 (2%) | 58 (10%) | 43 (9%) |
Hydraulique | 63,9 (12%) | 68 (12%) | 65 (14%) |
Nucléaire | 384 (72%) | 294 (51%) | 252 (53%) |
Autres thermiques (gaz, fioul, charbon…) | 54,4 (10%) | - | - |
source : RTE - Les pourcentages étant arrondis, la somme peut ne pas faire 100%.
Le point épineux : la recharge
Comme nous l’avons vu, la quantité d’électricité sera suffisante. Mais c’est loin de signifier qu’elle sera disponible quand et où vous le souhaiterez. Les pics de consommation hivernaux mettent aujourd’hui à rude épreuve le réseau électrique. Le fait que tout le monde allume son chauffage électrique, ses plaques de cuisson et ses lampes en même temps pose des soucis de fourniture.
Les mêmes problèmes sont à craindre si les 15 millions de voitures sont mises en charge en même temps (le soir ou lors de départs massifs en vacance). La puissance appelée risque d’être trop importante. Marc Jedliczka fait d’ailleurs remarquer : « Une Tesla qui se recharge en 1/2h appelle 120 kW. C’est à mettre en perspective avec les puissances domestiques disponibles de 6 à 9 kW... Si tout le parc est constitué de véhicules à recharge rapide, le réseau basse tension actuel ne pourra pas le supporter. Cela nécessitera de lourds travaux que RTE n’aborde pas dans ses scénarii ». Le gestionnaire ne nie cependant pas la problématique :
« Il est sûr que si les recharges se font toutes à 19h, le pic de consommation sera difficile à gérer. Les 15,6 millions de véhicules électriques représentent une puissance appelée de 17 100 MW. Pour comparaison, Paris intra-muros représente une puissance appelée de 2 200 MW en hiver et hors pic de consommation. » - Marc Jedliczka, négaWatt
Décaler la recharge dans le temps en échange de tarifs plus intéressants
« La recharge de sa voiture tous les soirs n’est pas nécessaire. Elle peut être décalée. On peut imaginer que les fournisseurs d’électricité proposeront des tarifs avantageux pour les consommations à partir de 22h, voire plus tard, pour éviter les pics de 18h30-21h » - Loïc Jarrossay, Enedis
Il faudra sans doute se contenter de « faire le plein » plus lentement et que les recharges soient réparties dans le temps. Et ce, d’autant plus que les moyens de production n’offriront peut-être pas la puissance nécessaire à tout instant. Les sources d’énergies renouvelables que sont le vent et le soleil étant par définition intermittentes. Comment prendre ces bonnes habitudes d’utilisation ? « La recharge peut être reportée par une offre tarifaire plus attractive ou réalisée par des bornes intelligentes qui décaleraient l’opération automatiquement », indique RTE qui mène des recherches sur ces compteurs intelligents.
Même son de cloche chez Enedis, le service public de distribution de l’électricité. « La recharge de sa voiture tous les soirs n’est pas nécessaire. Elle peut être décalée. On peut imaginer que les fournisseurs d’électricité proposeront des tarifs avantageux pour les consommations à partir de 22h, voire plus tard, pour éviter les pics de 18h30-21h », détaille Loïc Jarrossay, expert mobilité électrique d’Enedis. Nos voitures électriques pourraient ainsi fonctionner à l’instar de nos ballons d’eau chaude sanitaire, en « heures creuses ». Et d’ajouter : « Ces heures « creuses » pourraient même ne pas être à heures fixes mais en fonction des capacités de production des sources d’énergie renouvelable ». Les jours de grand vent ou bien ensoleillés pourraient ainsi permettre de bénéficier de tarifs au plus bas. Il ne s’agira pas toutefois de surveiller sa girouette pour savoir quand recharger sa voiture. Loïc Jarrossay l’assure : « Linky sera capable de communiquer ce genre d’informations à la borne de recharge. Si le contrat du fournisseur le permet, elle déclenchera alors la recharge ».
Quelques travaux d'adaptation du réseau à prévoir
Enedis aurait déjà réalisé une pré-étude sur la tenue de son réseau à la puissance appelée. D’après l’expert, celui-ci supporterait actuellement jusqu’à 10 millions de véhicules électriques, moyennant quelques adaptation sur des sites comme les parkings collectifs. A 15 millions de véhicules, il faudrait sûrement renforcer quelques « nœuds », notamment les autoroutes, où la puissance appelée serait importante. Des transformateurs HTABT, qui font aujourd’hui passer le courant de 20 KV à 230 V, seraient à remplacer. « Les travaux ne seront pas négligeables mais ils vont pouvoir s’étaler dans le temps. Nous ne nous y mettrons pas la veille de 2040 », termine Loïc Jarrossay. Autant de solutions qui devraient apparaître et être mises en place d’ici 2040 si la voiture électrique s’impose bien comme le véhicule du futur.
Méthodologie : qu'avons-nous inclus dans les véhicules électriques ?
« Véhicules électriques » : de quels véhicules est-il question ?
Dans le langage des spécialistes, l’automobile électrique concerne les véhicules dotés de batteries rechargeables. « Quand nous parlons de véhicules électriques, nous désignons les véhicules hybrides rechargeables et ceux uniquement à batteries », précise Joseph Bereta. Les voitures hybrides non rechargeables ne sont donc pas incluses dans cette dénomination de voiture électrique. Il en est de même pour les voitures dotées d’une pile à combustible (hydrogène). Celles-ci pourraient pourtant être cataloguées parmi ces véhicules puisque la pile alimente une motorisation électrique. Ce n’est pas le cas. Dans notre projection, nous prenons pour hypothèse qu’en 2040, ce seront toujours les modèles à accumulateurs rechargeables qui constitueront la très grande majorité du contingent de véhicules électriques.
Quelles batteries pour nos voitures électriques ?
La consommation des véhicules électriques d’aujourd’hui augure-t-elle celle des voitures de demain ? Difficile à affirmer. Les technologies de propulsion électrique évoluent. Pour preuve, celles des batteries. Utilisés jusque dans les années 1990, les accumulateurs au plomb ont été remplacés par ceux au nickel-cadmium (NiCd). Eux-mêmes ont disparu au milieu des années 2000, interdits en raison de la toxicité du cadmium. Les solutions sodium-chlorure de nickel, qui ont équipé des voitures à partir de la fin des années 1990, ont elles aussi été supplantées par les batteries à base de lithium (lithium-métal polymère, lithium-ion polymère et lithium-ion). Des progrès technologiques utilisant de nouveaux matériaux, comme le graphène, ou de nouvelles structures, comme des nanotubes de carbone, sont annoncées. Pour nos calculs, nous avons estimé que les batteries lithium-ion équiperaient majoritairement nos voitures.
Stocker l’énergie dans les voitures, pas une si bonne idée Les promoteurs de la voiture électrique évoquent souvent le « vehicle-to-grid » (V2G), une technologie qui permettrait de stocker de l’électricité dans les batteries des voitures afin de la réinjecter sur le réseau en cas de besoin. « Cela permettrait de soulager le réseau lors d’un pic de consommation et d’absorber préférentiellement les surplus d’énergie produits par les énergies renouvelables », argue Joseph Bereta, président de l’Avere-France. Attrayant, en effet. Les véhicules de chacun serviraient ainsi la communauté. Pour certains experts, ce n’est pas réaliste. Marc Jedliczka, porte-parole de négaWatt, le clame : « le V2G est une vue de l’esprit ! Ca peut fonctionner pour modifier le système de la recharge mais pas pour rendre de l’énergie au réseau. Les gens ont des voitures pour rouler quand ils le souhaitent. Le réseau ne peut donc pas compter dessus quand il en a besoin. Ce n’est pas fiable ». L’avenir nous dira qui aura raison.
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