entretien selectra France Michel de la Fondation Abbé Pierre

Trêve hivernale, précarité énergétique : entretien avec France Michel de la Fondation Abbé Pierre

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Selectra a eu le plaisir d’échanger avec France Michel, Responsable du Programme “Toits d’Abord” à la Fondation Abbé Pierre (voir le site), association de lutte contre le mal-logement en France. Elle répond à nos questions sur la trêve hivernale, la précarité énergétique et les passoires thermiques.

Selectra : Quelles sont les chiffres de la précarité énergétique en France ?

France Michel : Il s’agit d’un phénomène difficile à quantifier, bien qu’il concerne une partie importante de la population : en France, on estime que 12 millions de personnes sont victimes de la précarité énergétique, soit 1 ménage sur 5.

En France, on estime que 12 millions de personnes sont victimes de la précarité énergétique, soit 1 ménage sur 5.

La précarité énergétique survient quand il y a rupture dans l’équilibre de vie des personnes, avec divers facteurs aggravants qui engendrent une impossibilité pour le foyer de se chauffer de manière acceptable : la qualité du logement et des équipements de chauffage, de ventilation, l’isolation et la situation économique des ménages.

Selectra : Y-a-t-il eu une amplification du phénomène de précarité énergétique avec les augmentations successives de l’électricité en 2019 ?

France Michel : On ne peut pas encore l’établir, mais c’est une hypothèse très probable. En effet, les hausses de l’électricité touchent dans de fortes proportions les ménages très modestes, et encore davantage ceux qui ont recours à du chauffage d’appoint (très souvent électrique). Toutefois, il faut aussi prendre en compte le facteur climat, qui peut atténuer l’expression du phénomène.

Autre facteur structurel : le nombre de ménages pauvres, au sens de l’INSEE, qui lui ne diminue pas et touche toujours environ 14% de la population française.

Selectra : L’approche de l’hiver entraînera sans doute des pics de consommation d’énergie. Quels seront les impacts sur la facture ?

France Michel : A l’approche de l’hiver, mais aussi par temps de canicule, le lieu de vie du ménage est déterminant : si le logement est bien isolé, l’impact de la baisse des températures sur la facture est moindre. De la même façon, la vétusté de l’équipement de chauffage est déterminante pour la facture d’énergie.

Pour faire face à l’hiver, bon nombre de personnes ne se chauffent pas ou limitent leur consommation.

Pour faire face à l’hiver, bon nombre de personnes ne se chauffent pas ou limitent leur consommation : il s’agit là d’une manifestation directe de la précarité énergétique, très difficile à mesurer, mais analysée par l’Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE) et le Médiateur de l’énergie.

Selectra : La rénovation thermique peut-elle être une réponse aux problèmes de précarité énergétique ? Comment ?

France Michel : La précarité énergétique est l’une des formes que prend le mal-logement. Les foyers disposant de peu de ressources effectuent des arbitrages pour faire face au paiement des factures d’énergie, soit en privilégiant d’autres dépenses - notamment le loyer - soit, à l’inverse, en priorisant le paiement de ces factures. Mais la précarité énergétique renvoie aussi à la qualité et au coût du logement. On a plus de chances d'être en situation de précarité énergétique dans un logement de mauvaise qualité, mal isolé, au loyer trop cher.

Un logement rénové induit pour le ménage 900 euros de gain par an sur la facture d’énergie. Etude réalisée dans le cadre du programme "Toits d'Abord" de la Fondation Abbé Pierre

En cela la rénovation thermique est un enjeu majeur. Selon une étude réalisée dans le cadre du programme “Toits d’Abord” de la Fondation Abbé Pierre, un logement rénové induit pour le ménage 900 euros de gain par an sur la facture d’énergie.

Mais pour que tout le monde puisse accéder à un logement répondant un niveau minimal de performance énergétique, il faut regarder quelles politiques publiques, quels moyens, financiers mais aussi réglementaires, les pouvoirs publics mettent en place pour combattre la précarité énergétique.

Selectra : Que pensez-vous des aides à la rénovation énergétique ? Sont-elles suffisantes ?

France Michel : Ces moyens sont ceux distribués par l’Agence Nationale Pour l’Habitat (Anah) notamment “Habiter mieux sérénité” et “Habiter mieux agilité”.

A la Fondation Abbé Pierre, nous pensons qu’il serait bon de renforcer le programme “Habiter mieux sérénité” pour limiter davantage le reste à charge pour le ménages et faciliter le passage à l’acte. En effet, dans le cas d'opérations globales, intervenant sur plusieurs postes, le gain énergétique est plus important, même si les dépenses à couvrir sont plus importantes. Lorsque l’on change la chaudière sans réaliser de travaux d’isolation, on passe à côté d’économies importantes et on réalise un investissement pas adapté (en l'occurrence une chaudière surdimensionnée, qui chauffera un logement déperditif).

Lorsque l’on change la chaudière sans réaliser de travaux d’isolation, on passe à côté d’économies importantes et on réalise un investissement pas adapté.

Concernant les CEE et les opérations “Coup de Pouce Chaudière” ou “Coup de Pouce isolation”, il y a un réel enjeu de contrôle et de qualité. Il faudra mesurer l’impact réel, car on peut supposer que la démultiplication des équipements ponctuels s’avérera peu productrice de gains énergétiques. Action Logement s’est également positionné pour aider les propriétaires dans leurs travaux de rénovation énergétique. Reste à voir si cette offre très récente sera porteuse de résultats à la fois massifs et qualitatifs.

De notre point de vue, au delà des leviers de financement, il y a un enjeu à repenser ce qu’il est acceptable (ou pas) de mettre à la location : aujourd’hui, on compte un tiers de passoires thermiques sur 11 millions de locations, car la performance énergétique n’est pas clairement appréciée dans la qualification d’un logement “décent”.

Selectra : Pouvez-vous nous parler du programme “Toits d’Abord” ?

France Michel : “Toits d’Abord” est un programme de la Fondation Abbé Pierre de lutte contre la précarité énergétique, reconnu par le Ministère de la Transition écologique et solidaire.

Via le dispositif des certificats d’économies d’énergie et grâce à un partenariat avec EDF, “Toits d’Abord” vise à soutenir la création de logement très sociaux et très performants pour des ménages exclus de l’offre locative sociale classique. Il s’agit par exemple de ménages qui vivent dans des hôtels, qui ont connu la rue, qui vivent dans leur voiture, etc. Ils ont trop peu de ressources pour qu’un bailleur classique veuille les loger.

Avec un budget de 5 millions d’euros, nous participons chaque année à la rénovation de 500 à 600 logements en France.

Via le programme “Toits d’Abord”, la Fondation Abbé Pierre soutient financièrement des associations ou parfois des bailleurs sociaux produisant des logements destinés à ces ménages. Avec un budget de 5 millions d’euros, nous participons chaque année à la rénovation de 500 à 600 logements en France. Il s’agit de biens très dégradés, des logements laissés à l’abandon, d’anciennes écoles, etc. Ils présentent une étiquette Diagnostic de Performance Energétique (DPE) E, F ou G et sont donc très énergivores. Par le biais de la rénovation, nous arrivons à en faire des logements A, B ou C, qui permettent un gain pour les ménages de 900€ par an sur leur facture énergétique.

Selectra : La loi énergie climat a été définitivement adoptée : pensez-vous qu’elle aille assez loin dans la lutte contre les passoires thermiques ?

France Michel : La loi a été adoptée mais n’est pas encore publiée. La Fondation Abbé Pierre, au sein du collectif Rénovons! notamment, a milité lors des débats pour que les dispositions en faveur de la rénovation énergétique soient moins timides. La loi dit qu’à partir de 2023, un horizon somme toute lointain, un bailleur ne sera plus autorisé à mettre en location un logement dont la performance énergétique dépasse un certain plafond.

La Fondation Abbé Pierre ne voit pas dans cette loi (Loi énergie climat adoptée récemment ndlr) la concrétisation des mesures avec une impact concret et rapide pour la vie des personnes vivant en situation de précarité énergétique.

Mais cela ne concernera que les nouveaux contrats de location et non les baux en cours, et on ne connaît toujours pas ce seuil qui sera fixé par décret. Par ailleurs le texte de loi renvoie à un seuil d’énergie finale et non primaire, dans une période où l’outil de mesure lui-même, le DPE, est en train d’être retravaillé.

Dans ce contexte, la Fondation Abbé Pierre ne voit pas dans cette loi la concrétisation des mesures avec une impact concret et rapide pour la vie des personnes vivant en situation de précarité énergétique.

Selectra : Quelles seraient les autres solutions pour lutter contre la précarité énergétique ? Les fournisseurs d’énergie ont-il un rôle à jouer ? Les comparateurs ?

France Michel : Les solutions nous semblent surtout conditionnées à la fois aux moyens donnés à la rénovation et aux contraintes par rapport à la mise en location de passoires thermiques. Mais les comparateurs ont cependant un rôle à jouer (consulter le comparateur Selectra). L’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence n’a pas rendu l’accès à l’information plus aisé pour les consommateurs. Ils peuvent donc avoir une mission d’information et de benchmark, en aidant à comparer les fournisseurs.

Mais les comparateurs ont cependant un rôle à jouer. L’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence n’a pas rendu l’accès à l’information plus aisé pour les consommateurs. [...] en aidant à comparer les fournisseurs.

De leur côté, il y a un enjeu fort à ce que les fournisseurs d’énergie rendent leurs offres plus transparentes et claires : les conditions de l’offre, les tarifs fixes ou indexés, le prix du kWh, le prix de l’abonnement tout cela semble encore souvent opaque, comme en témoigne les publications du Médiateur de l'énergie.

Selectra : La trêve hivernale approche pouvez-vous nous rappeler les droits des locataires et propriétaires durant cette période ? Pouvez-vous expliquer le rôle du chèque énergie dans cette période ?

France Michel : La trêve hivernale aura lieu du 1er novembre au 31 mars. Cela a été l’un des combats de l’abbé Pierre. Elle a pour but de protéger les familles de conditions climatiques difficiles. Pendant cette période, il est donc interdit au propriétaire d’expulser ses locataires.

La trêve hivernale aura lieu du 1er novembre au 31 mars. Cela a été l’un des combats de l’abbé Pierre.

Il est également interdit aux fournisseurs d’énergie de couper le courant de leurs clients pour motif d’impayé. Ces derniers peuvent toutefois procéder à des réductions de puissances sauf lorsque les personnes sont bénéficiaires du chèque énergie et en ont informé leurs fournisseurs. Le chèque énergie est une aide d’environ 200 euros par an qui est destinée aux ménages sous plafond de ressources, qu’ils peuvent utiliser pour payer leurs factures d’énergie et certains travaux de rénovation énergétique.

Selectra : Durant la trêve hivernale, les fournisseurs d’énergie n’ont pas le droit de couper l’électricité ou le gaz aux bénéficiaires du chèque énergie ? Est-ce toujours respecté ? Comment faire valoir ses droits ?

France Michel : En premier lieu, il convient de rappeler que pendant la trêve hivernale, tout le monde est protégé de la coupure d’électricité ou de gaz. Les bénéficiaires du chèque énergie sont protégés aussi des réductions de puissance. Il leur revient d’en informer leur fournisseur.

Pendant la trêve hivernale, tout le monde est protégé de la coupure d’électricité ou de gaz. Les bénéficiaires du chèque énergie sont protégés aussi des réductions de puissance. Il leur revient d’en informer leur fournisseur.

La Fondation Abbé Pierre est malheureusement le témoin du non respect de la trêve par des propriétaires malveillants ou des marchands de sommeil, qui procèdent à des coupures d’eau ou d’énergie en s’adressant directement au fournisseur, voire même à des expulsions illégales.

Concernant les coupures d’énergie, il faut se mettre en contact avec son fournisseur d’énergie pour faire valoir ses droits. Il faut reconnaître que c’est plus ou moins facile selon les fournisseurs.

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