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Crise énergétique : pourquoi il semble urgent de réformer le marché européen de l'énergie ?

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L’Union Européenne s’est lancée dans la course aux mesures de sauvetage pour l’hiver prochain. Entre risques de pénurie et prix exorbitants, la crise énergétique soulève aussi les failles des règles européennes sur la question de la vente de l’électricité et du gaz. Pour la première fois, les 27 semblent s’entendre sur une réforme profonde du marché européen de l’énergie.

Le marché européen de l’énergie : quelle logique ?

L’Union Européenne est désormais en alerte. Il n’est plus seulement question de trouver des sources d’énergie compensatrices ou encore de diversifier ses approvisionnements en gaz. L’UE souhaite en effet s’orienter vers une réforme de fond. Le marché européen repose sur un système de régulation du prix de l’énergie datant des années 90, mais qui aujourd’hui, semble témoigner de certaines limites.

En atteignant les 1000 euros le MWh d’électricité, les pays européens ont pris conscience de la nécessité de repenser le marché de l’énergie. “La flambée des prix de l'électricité montre clairement les limites du fonctionnement actuel du marché”, a estimé, le 29 août dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

Jusqu’à présent, le prix de vente de l’électricité sur les marchés de gros était indexé sur le prix de revient de la dernière source d’énergie utilisée pour produire l’électricité. À ce moment-là, il s’agissait essentiellement des centrales à gaz. D’où la corrélation entre le prix du gaz et celui de l’électricité.

Or, le plus souvent, d’autres sources sont suffisantes pour produire l’électricité nécessaire : le nucléaire, le charbon ou même les énergies renouvelables - comme l’éolien - permettent de produire les quantités suffisantes. De plus, leurs coûts d’exploitation sont beaucoup moins élevés. Les producteurs font appel au gaz lorsque les besoins sont plus importants, notamment lors des pics de consommation que l’on connaît durant l’hiver.

Pourtant le prix de vente reste couplé à celui du gaz, afin d’assurer un équilibre avec les producteurs qui utilisent le gaz comme source principale. Avec la guerre en Ukraine et l’augmentation du prix du gaz, l’électricité a donc été directement impactée.

Jusqu’à présent pourtant, ce fonctionnement présentait différents avantages pour les pays européens. Notamment pour la France qui, grâce au nucléaire, était en mesure de produire de l’électricité peu coûteuse tout en la revendant au prix du marché, indexé sur les coûts d’une production issue du gaz. En 2021, Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes soulignait d’ailleurs cet avantage Hexagonal :

“Le marché européen de l’énergie est un avantage énorme pour la France. EDF exporte pour plusieurs milliards d’euros en Europe.”

Mais désormais, la France est elle aussi dépassée par le cours de l’énergie et ne peut rattraper l’inflation que représente l’augmentation du prix de l’électricité. Pour assurer un accès à l’électricité à ses citoyens, le pays a par ailleurs été contraint de dépenser pas moins de 10,5 milliards d’euros, en plafonnant à 4 % l’augmentation des prix de l’électricité grâce à son bouclier tarifaire. Une mesure que le gouvernement a de plus en plus de difficultés à assurer. De plus, la production du parc nucléaire français a nettement diminué. Au 1er septembre seuls 25 réacteurs sur 56 étaient en état de marche.

Les règles du marché de l’énergie remises en question

La France n’est pas la seule à remettre en question les règles du marché européen. Le chancelier allemand Olaf Scholz a par ailleurs évoqué un système dysfonctionnel.

Alors que celui-ci a longtemps présenté de nombreux avantages, ce modèle pénalise de plus en plus de pays européens, à fortiori dans le cadre de la crise énergétique. L’Espagne qui a beaucoup investi dans les énergies renouvelables pour produire son électricité a à ce titre été l’un des premiers États à demander une révision.

Le chancelier autrichien Karl Nehammer, appelle en urgence à “découpler le prix de l'électricité de celui du gaz”, pour “arrêter cette folie”. De même pour la France. Elle est même une figure de proue dans ce projet de refonte du système européen.

“Des prix d'électricité qui s'envolent et qui n'ont plus rien à voir avec les coûts de production d'électricité, ça suit le gaz, c'est absurde ; ce qui fait que vous avez des acteurs, par exemple dans le renouvelable, qui font des surprofits dans la période totalement déraisonnables.”

Ce sont les mots d’Emmanuel Macron, lors du G7 de juin dernier. Pour le président français, “objectivement la meilleure réponse, c'est de faire baisser [les prix de l’électricité] à l'achat”.

Les premières pistes de la réforme du marché de l’énergie européen

Pourtant, réformer ce marché n'est pas chose aisée et il est vraisemblable que cette refonte ne survienne pas pour l’hiver 2022. Toutefois quelques pistes ont dores et déjà été évoquées.

Le découplage du gaz et de l’électricité est la mesure la plus martelée. La France défend avec fermeté cette solution. L’Autriche soutient la même proposition. Les prix - une fois decorrélés - seraient réellement à l’image des productions réelles d’électricité et indépendants d’éventuelles crises politiques européennes.

Dans la même logique, la Grèce avance la scission du marché en deux. D’un côté une production dépendant des énergies renouvelables et des énergies dites “bas carbone”, qui serait privilégiée. De l’autre côté, un marché lié à la production à partir des centrales à gaz, auquel on ferait appel pour les urgences et les pics de consommation. Le consommateur final paierait une sorte de moyenne de ces deux marchés.

Le plafonnement est aussi un levier proposé. La République tchèque pense à plafonner le cours du gaz. Alors que la Belgique estime qu’il faut instaurer une limite aux prix de l’électricité.

La Commission européenne propose quant à elle de plafonner les prix payés aux centrales utilisant d’autres sources d’énergie que le gaz. Si elle encourage les mesures de soutien apportées par les États à leurs citoyens, elle préfère toutefois éviter le blocage de prix au détail destiné aux consommateur, qui pourrait fausser les marchés.

Les gouvernements des États européens ne sont pas les seuls à défendre une réforme profonde du marché de l’énergie. Les industriels appellent également à réagir face au contexte actuel. L’Union des Industries Utilisatrices des Energies (UNIDEN), a à ce titre dressé une liste de propositions afin de s’extraire de la crise actuelle. Ces industries sont plus que concernées. Leur production a été directement impactée par la hausse des prix de l’énergie et elles pourraient dès cet hiver être menacées de délestages.

Dans un communiqué intitulé : “Réussir la réforme du marché européen de l’électricité : une urgence vitale”, l'UNIDEN suggère cinq mesures prioritaires à mettre en place selon elle. Parmi elles, on trouve :

  • L’affranchissement de la règle “spot” (le marché de court terme dont les enchères font constamment fluctuer les prix de l’électricité) appliquée “dans l’ensemble des Etats membres dès lors que ce prix s’en approche ne serait-ce qu’une seule heure et dans un seul pays” ;
  • Le plafonnement du prix du gaz européen assorti d’une taxe faible sur toutes “les transactions énergétiques, acquittée par les fournisseurs et tous les intermédiaires de marché et servant, via une caisse de compensation européenne, à compenser l’écart par rapport aux prix internationaux” ;
  • La défense en priorité des contrats à long terme d’achat et de livraison de l’électricité et offrir “la possibilité juridique aux Etats-membres qui le souhaitent de réguler le marché de gros par l’instauration de tarifs d’adaptation à la crise” ;
  • La mise en place d’“un nouveau cadre hybride pour la fourniture en gros de l’électricité en Europe” qui prendrait en compte les coûts réels de production de l’électricité.

Au moins une dizaine de pays d’Europe du Nord appelle à réviser ce modèle désormais inadapté au contexte international. Une réunion des ministres de l'Énergie de l'UE a été fixée le 9 septembre à Bruxelles pour réfléchir à cette restructuration.

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