Pourquoi l’application StopCovid est-elle loin de faire l’unanimité ?

Pourquoi l’application StopCovid est-elle loin de faire l’unanimité ?

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Alors que le Covid-19 continue de profondément bouleverser nos sociétés, les gouvernements tentent de trouver des solutions pour sortir progressivement de la crise. Différentes stratégies sont déployées à travers le monde, mais celle du traçage numérique revient souvent. En France, on travaille désormais au développement de l’application StopCovid, une solution loin de s’imposer comme une évidence pour de nombreuses personnes.

  • En bref : StopCovid : une application pour retracer l’historique des relations sociales des individus
  • Alors que le président a officiellement annoncé que le 11 mai 2020 marquerait un tournant dans la gestion de la crise sanitaire due au Covid-19, différentes stratégies sont en cours d’élaboration pour aider au déconfinement progressif ;
  • Le développement d’une application mobile de traçage numérique concentre aujourd’hui les efforts du gouvernement ;
  • Nommée « StopCovid », celle-ci fonctionnerait sur la base du volontariat et grâce au Bluetooth ;
  • Malgré les précautions prises par le gouvernement afin d’éviter les accusations d’atteinte à la vie privée des citoyens, les critiques sont nombreuses ;
  • Et au-delà de cet aspect, certains questionnent l’efficacité même d’un tel dispositif au vu de la réalité de la situation actuelle.

Covid-19 : quel rôle pourrait avoir la technologie dans la gestion de la pandémie ?

On le sait, l’innovation peut avoir de véritables bénéfices dans la prise en charge de la santé. Sur Selectra, nous avons à de nombreuses occasions abordé ce sujet, notamment en évoquant le rôle de l’intelligence artificielle – ou IA – ainsi que la démocratisation des objets connectés destinés à l’accompagnement bien-être. Depuis le début de la pandémie mondiale du Covid-19, des discussions animées autour du rôle que doit jouer la technologie dans la gestion de crise animent le débat public. Et l’on a pu voir des dispositifs très concrets, comme l’installation d’un cabinet médical connecté pour faciliter l’accès aux soins à Villeneuve-la-Garenne – une démarche de La Croix-Rouge, en partenariat avec CNP Assurances.

Les experts s’accordent souvent à dire que miser uniquement sur la technologie et ses bénéfices en temps de crise se révèle souvent être une erreur sur le long terme.

Mais le sujet le plus brûlant est évidemment le traçage numérique, permis grâce à la connectivité des smartphones. En pleine crise du Covid-19, la question de l’exploitation des données est plus actuelle que jamais, tout comme la potentielle menace qu’elle représente quant à nos libertés individuelles. Si la France n’a pas à ce jour opté pour des solutions similaires à celles déployées en Slovaquie ou en Italie – où les autorités sanitaires ont accès aux données des téléphones portables grâce aux opérateurs –, elle s’y intéresse. Les débats sont animés, mais les questions que pose le pistage numérique d’un point de vue éthique et moral semblent trop importantes pour être ignorées. C’est pour cela que fin mars 2020, un comité de chercheurs et de médecins a été spécialement créé pour tenter de réfléchir à la stratégie du traçage numérique et ses implications. Ce groupe se réunit sous le nom de Comité analyse recherche et expertise – ou Care.

Aujourd’hui, l’une des options concrètement envisagées par le gouvernement français pour limiter la propagation du virus est celle du développement d’une application mobile. Son rôle ? Pouvoir retracer les parcours des personnes afin d’identifier de potentielles rencontres avec des personnes testées positives au Covid-19. Pour autant, cette stratégie a été accueillie avec froideur, et une bonne dose de critiques.

Covid-19 : Apple et Google s’associent pour aider les gouvernements au traçage numérique des populationsEn parallèle des annonces du gouvernement français au sujet de son application StopCovid, les géants Apple et Google ont quant à eux officialisé un partenariat inédit afin d’aider les autorités de santé et les gouvernements en facilitant le suivi numérique des personnes qui ont pu se trouver à proximité de celles atteintes du Covid-19. Leur technologie repose également sur le Bluetooth, très similaire à la solution française.

StopCovid : en quoi le projet d’application mobile consiste-t-il exactement ?

Début avril 2020, le travail du gouvernement concernant un projet de suivi des malades via une application mobile était rendu public. Celle-ci, nommée sobrement StopCovid, restait encore totalement hypothétique. Quelques jours plus tard, l’on apprenait qu’elle était concrètement en cours de développement, ou plutôt en « phase exploratoire » était-il indiqué dans le journal Le Monde. En tout, trois à six semaines de développement sont envisagées. Cela impliquerait un déploiement de l’application StopCovid pour le 11 mai, la date officielle annoncée pour un déconfinement progressif en France.

Sur le papier, le principe même de l’application mobile française paraît idéal. Ses concepteurs semblent vouloir contourner le problème de l’exploitation de données personnelles. En effet, son fonctionnement repose entièrement sur le volontariat des utilisateurs, et non sur la géolocalisation. Tout son contenu serait consultable, et son utilisation en accord avec les principes du Règlement général sur la protection des données – ou RGPD. De plus, son usage serait limité au temps de la crise sanitaire.

Pour autant, si en théorie l’application StopCovid contournerait certaines choses sans cesse rappelées concernant la protection de chacun et de ses données personnelles, le principe même du concept dérange : il s’agit bien d’une application permettant de garder une trace numérique des interactions sociales de chaque individu. La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a beau insister sur la garantie « d’une anonymisation des données et d’une conservation temporaires de ces données », celles-ci existent néanmoins et seront inévitablement stockées quelque part, même pour un temps.

Dans un entretien du ministre du secrétaire d’État au Numérique Cédric O avec Le Monde, ce dernir suit la même ligne vouée à rassurer le grand public, indiquant que « ce n’est pas une application qui trace vos déplacements, c’est une application qui permet d’indiquer aux personnes que vous avez croisées pendant un temps long qu’elles ont, éventuellement, rencontré un cas positif au SARS-CoV-2. » Pour autant, tout le monde n’est pas de cet avis.

Covid-19 : La technologie ne peut être l’unique solutionEn dépit des différentes stratégies déployées par les gouvernements, celle du traçage numérique (par géolocalisation, via application mobile, etc.) constitue toujours un élément inscrit dans un tout. Seule, elle ne peut être réellement efficace. Partout, des mesures de confinement ont été décidées, s’imposant à ce jour comme le moyen le plus sûr pour limiter la propagation de la pandémie de Covid-19.

Covid-19 : la crise sanitaire force chacun à réfléchir au sens des libertés individuelles

En réalité, de nombreux obstacles se sont rapidement imposés face à un tel projet. Par exemple, la question de la distance de connectivité du Bluetooth entre deux smartphones – généralement de cinq à dix mètres environ. Puisque c’est bel et bien sur cette technologique que reposerait l’efficacité de l’application. Mais que faire si l’un des deux mobiles n’est pas équipé de cette technologie, ou si l’un de ces téléphones est trop loin ? Enfin, en partant du principe que tout serait OK pour la qualité de la liaison Bluetooth, celle-ci ne peut être opérationnelle que si les deux appareils ont installé l’application StopCovid dans leur système.

Enfin, au-delà de tout cela, beaucoup remettent en cause l’efficacité même de l’application pour limiter la propagation du virus. En effet, celle-ci repose sur trois présupposés : un dépistage systématique et massif de la population, l’installation de l’application StopCovid sur tous les smartphones des Français et, enfin, que ces derniers soient tous équipés d’un smartphone. Et on voit rapidement où cela coince : la stratégie du dépistage généralisée n’a pas été celle du gouvernement français depuis le début de la crise. D’autre part, sans rendre l’utilisation de StopCovid obligatoire, elle ne peut réellement accomplir ce pour quoi elle serait conçue : il est impossible de faire en sorte que chaque personne installe l’application – et quid de celles qui n’ont pas de smartphone ? Au moins un quart de la population française n’a pas de téléphone capable de télécharger une application. De plus, on l’a bien compris, à ce stade, le gouvernement n’est pas prêt à légiférer sur une mesure qui serait considérée par beaucoup comme une atteinte au droit à la vie privée.

Difficile d’identifier clairement la stratégie officielle de déconfinement à ce jour. Cela peut partiellement expliquer les réactions négatives concernant l’application StopCovid.

Évidemment, pour le gouvernement, le but sera d’éviter au maximum les critiques, et il a déjà été annoncé que le code de l’application serait consultable, et donc transparent. De plus, la Commission nationale de l’informatique et des libertés – ou CNIL – sera directement impliquée afin de veiller au respect des droits des citoyens. « Il faut que les citoyens sachent quelles données les concernant sont susceptibles d’être traitées, par qui, pour quelle finalité, dans quelles conditions, et avec qui les données sont partagées. C’est seulement en gagnant le pari de la confiance du respect de la vie privée que nos concitoyens pourraient être susceptibles d’adopter un tel dispositif de façon suffisamment vive pour en assurer l’efficacité sanitaire », a ainsi expliqué Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL.

Dans L’OBS, en réaction à la situation, les avocats Nabil Boudi et Carbon de Seze font un constat : « Quand l’exception devient la norme, tout citoyen doit rester attentif et ne pas troquer sa liberté contre un peu plus d’une sécurité éphémère. » À chacun désormais de réfléchir aux implications concrètes des décisions prises aujourd’hui, en tentant d’envisager leurs répercussions sur le long terme.

Covid-19 : la France suit-elle l’exemple de Singapour ?À Singapour, l’application TraceTogether a été déployée pour accompagner le déconfinement progressif de la population. Sur les 5,6 millions d’habitants de Singapour, un million de personnes l’ont installé. Le principe est très similaire à celui du projet français : volontaire, avec une gestion des données temporaire et anonymisée.

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