"La métropole de demain sera verte ou invivable" Julien Bayou, porte-parole d'EELV
Selectra s'est entretenu par téléphone avec Julien Bayou, porte-parole d'Europe Ecologie les Verts et candidat à la Mairie de Paris en 2020. Il nous livre sa vision d'une transition énergétique réussie et les mesures urgentes à mettre en place pour lutter contre la précarité énergétique.
Selectra : Le prix du carburant est à l'origine de la crise des gilets jaunes. Quelle est la position d'EELV sur cette épineuse question ?
Julien Bayou : Notre position est constante sur ce point : il faut une fiscalité carbone et en finir avec le diesel car on ne peut pas, au regard de sa nocivité, continuer à le subventionner par rapport à l'essence. C'est comme si l'on décidait de subventionner l'asthme de nos enfants avec nos impôts. Pour autant, la transition ne peut pas se faire que par le prix.
Il faut une fiscalité carbone et en finir avec le diesel.
Les classes populaires sont les plus impactées mais aussi les plus dépendantes de leur véhicule. Nous pensons donc que chaque euro collecté doit être redistribué, soit dans la transition énergétique (dans la rénovation thermique, qui permet indirectement de lutter contre la pollution et donc le réchauffement climatique, ou le développement des énergies renouvelables par exemple), soit dans l'accompagnement social des personnes les plus fragiles.
L'idée, c'est que la personne achetant un SUV (véhicule utilitaire sport ndlr) diesel pourra débourser 3 centimes d'euro supplémentaires par litre. Mais pour un artisan qui a besoin de sa camionnette pour travailler, ce sera différent. Il faut donc qu'un accompagnement soit fait.
Selectra : Que pensez-vous de la position du gouvernement sur la fiscalité carbone ?
Julien Bayou : Actuellement, le discours du gouvernement est écolo mais dans les faits, l'écologie est utilisée comme un moyen de renflouer les caisses. L'exit taxe, le CICE, l'ISF ont contribué à vider les caisses de milliards d'euros qui pourraient être dédiés aux services publics. La fiscalité carbone ne doit pas être un moyen pour compenser ces déficits.
Le discours du gouvernement est écolo mais dans les faits, l'écologie est utilisée comme un moyen de renflouer les caisses.
On ne peut pas piéger les gens. De la même façon, on a dit aux gens "achetez du diesel, c'est moins cher" alors que c'était artificiellement subventionné. Quand le diesel a augmenté, ces personnes se sont retrouvées avec une camionnette encore fonctionnelle qui coûtait plus cher et ne valait plus rien à la vente !
C'est le même raisonnement avec les convecteurs électriques : on explique aux gens que le nucléaire n'est pas cher alors que l'on commence tout juste à se rendre compte à quel point c'est cher, notamment à démanteler. On a donc équipé des dizaines de milliers de bâtiments avec des convecteurs électriques qui coûtent finalement très cher.
Selectra : La rénovation thermique vous apparaît comme une solution ?
Julien Bayou : Tout à fait. Les tarifs augmentent et il faut pouvoir offrir aux gens une porte de sortie qui est la rénovation thermique. Les crédits d'impôt et les aides sont utiles mais ne suffisent pas aux personnes en situation de précarité énergétique. Le changement de fenêtre est très souvent la mesure la plus rapide et efficace pour réduire la consommation énergétique. Les députés ont proposé que le crédit d'impôt pour la rénovation énergétique soit étendu aux travaux relatifs au changement de fenêtre mais le gouvernement s'y est opposé car cela coûterait 800 millions d'euros. Je considère cette dépense comme une économie de long terme : les foyers bien isolés dépensent moins, sans oublier l'intérêt en termes d'emploi !
Selectra : Pensez-vous qu'il faille aller plus loin que les aides actuellement proposées ?
Julien Bayou : Oui. Par définition, le crédit d'impôt est proposé à ceux qui payent des impôts. 55% des ménages ont de trop petits revenus pour en bénéficier et ce sont précisément ces ménages qui en ont besoin. Il faut donc avancer sur un vrai plan de rénovation façon "New Deal". Dans les années 30, l'économie américaine ne sort pas de la Grande Dépression et Roosevelt instigue le New Deal qui a notamment engendré de grands travaux d’infrastructures. Il est possible de faire la même chose pour la rénovation thermique.
Il faut avancer sur un vrai plan de rénovation façon "New Deal".
Nous avons par exemple mis en place en Ile de France un programme qui consiste à avancer les travaux pour le compte des ménages. Le problème est que les locataires sont dans leur logement pour une durée déterminée et ne se lancent pas dans le financement de ce type de travaux, quant aux propriétaires, ils ne vivent pas dedans et cela leur est un peu égal que le logement soit une passoire thermique puisqu'ils ne paient pas les factures. Les travaux ne sont donc pas faits.
Il faut prendre les devants et rendre parfois même les travaux obligatoires de façon à ce que la rénovation ait lieu. En Ile de France, notre dispositif était pensé en ce sens : nous n'avions pas le pouvoir de rendre les travaux obligatoires mais nous avons permis leur remboursement sur les factures économisées avec un échéancier allant de 5 à 10 ans.
Selectra : Vous avez annoncé en fin d'année dernière votre candidature aux municipales 2020 à Paris. Quelle serait votre première mesure pour l'écologie ?
Julien Bayou : La lutte contre la pollution et la rénovation thermique des logements sont deux chevaux de bataille importants. Le premier est tout simplement une question de santé publique : la pollution tue chaque jour en France et on ne peut pas élever sereinement des enfants si on se dit qu’ils n’ont pas accès à un air de qualité. La métropole de demain sera verte ou invivable. Le second est un parfait exemple que l'écologie permet de combiner protection de l'environnement et justice sociale.
La métropole de demain sera verte ou invivable.
Les véhicules produisent des particules fines mais nous connaissons d'autres sources dont fait partie le chauffage défaillant des immeubles. Faciliter la rénovation thermique est une mesure qui permettrait aux ménages d'être moins dépendants de l'énergie, de réduire leur consommation et leur facture et plus largement de lutter contre la pollution et le dérèglement climatique.
Selectra : Etes-vous favorable à la disparition annoncée des chaudières à fioul ?
Julien Bayou : Cela ressemble à une punition ! Il faut se mettre à la place des personnes qui ont dépensé beaucoup d'argent dans la mise en place de leur chaudière à fioul. Ces personnes ont éventuellement envisagé l'augmentation du fioul mais pas de devoir se débarrasser de sa chaudière dans cinq ans. Je trouve choquant que le premier ministre annonce cela à la radio comme ça.
Il est possible d'utiliser des combustibles à base d'huiles de fritures recyclées en utilisant un brûleur mais les huiles de fritures sont taxées au même niveau que le fioul ce qui est absurde.
D'autres initiatives fonctionnent mais ne sont pas développées. Pour exemple, il est possible d'utiliser des combustibles à base d'huiles de fritures recyclées en utilisant un brûleur mais les huiles de fritures sont taxées au même niveau que le fioul ce qui est absurde. Il faudrait détaxer ces combustibles pour inciter les ménages à les utiliser.
Selectra : Nous devrions mieux utiliser nos déchets ?
Julien Bayou : Cela nous permettrait une plus grande souveraineté énergétique oui ! Nous serions de cette façon moins dépendants des pétromonarchies, ou de la Russie, à qui nous achetons du gaz. Il y a des implications très stratégiques dans le fait de mieux utiliser nos déchets. Les déchets sont une ressource actuellement gaspillée.
Selectra : La transition énergétique passe selon vous plus par des mesures étatiques fortes qu'en responsabilisant chaque citoyen ?
Julien Bayou : Les actions individuelles ont un intérêt bien sûr, chacun fait sa part du chemin. Il y a aussi des actions collectives, associatives qui testent des solutions alternatives. Mais il faut surtout réguler. Il faut par exemple empêcher des entreprises d'aller forer au large de la Guyane. Une centaine d'entreprises émettent 50% des émissions de gaz à effet de serre. Il faut appliquer le principe du pollueur-payeur. Les gens ne devraient pas avoir à se serrer la ceinture pour acheter bio. Dans un monde gouverné par les écologistes, la culture bio serait la règle et la culture chimique l'exception.
Il faut surtout réguler. Il faut par exemple empêcher des entreprises d'aller forer au large de la Guyane.
La "malbouffe" est aujourd'hui moins chère car massivement subventionnée et tout cela participe d'un même système : les gens font leurs courses dans des centres commerciaux qui ont détruits les petits commerces de proximité, prennent leur voiture pour y aller et ont donc besoin d'essence pour acheter de la malbouffe, à l'inverse de l'agriculture biologique qui, contrairement à ce que l'on pense, est très peu subventionnée.
Le gouvernement a réduit les aides au maintien à l'agriculture en bio.
Le gouvernement a réduit les aides au maintien à l'agriculture en bio. Basculer les milliards d'euros de la politique agricole commune de l'agriculture intensive vers l'agriculture biologique, c'est la rendre beaucoup moins chère. L'agriculteur serait quand à lui mieux rémunéré et c'est évidemment bénéfique pour l'environnement et la biodiversité.
Il faut modifier les règles du jeu, je ne suis pas là pour culpabiliser les personnes qui mangent des chips. Je trouve problématique d'engager toujours plus les citoyens dans leur conscience mais de ne pas mettre les fabricants de plastique en demeure de réduire leurs emballages. Souvent, le gouvernement se sert de cette culpabilisation pour ne rien changer.
Selectra : Le nouveaux compteurs Linky déployé dans toute la France est-il pour vous un moyen déployé pour mieux appréhender sa consommation et mieux consommer ?
Julien Bayou : C'est la promesse qui nous est faite : mieux auto-évaluer sa consommation. Mais en fait, Linky n'est pas le bon outil et nous sommes défavorables à son déploiement forcé pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, les écologistes se battent depuis des années pour diminuer l'exposition aux champs électromagnétiques et le Linky en ajoute au contraire en continu. Ensuite, la CNIL a plusieurs fois évoqué les risques de piratage de données personnelles de 35 millions de foyers et pour finir, je ne suis pas certain que voir sa consommation détaillée à J+1 permette de la gérer plus efficacement. Dans tous les cas, il n'y a pas de raison que ce changement de compteur soit obligatoire. D'après la Cour des Comptes, ce dispositif va coûter très cher pour un résultat incertain. Il n'y a dès lors aucune raison d'en faire une priorité.
Selectra : En matière de production renouvelable, comment se situe la France selon vous ?
Julien Bayou : Le retard ou l'exception française s'explique par le fait que le nucléaire fait office de verrou dans le développement des renouvelables en vampirisant l'essentiel des financements disponibles. Nous prenons beaucoup de retard dans la recherche et le développement de l'éolien et du photovoltaïque. Cela est dû à la passion française pour le nucléaire. Le président Macron pousse beaucoup dans ce sens et a encouragé la construction de la coûteuse centrale nucléaire d'Hinkley Point.
Le nucléaire fait office de verrou dans le développement des renouvelables en vampirisant l'essentiel des financements disponibles.
Nous pouvons être inquiets. Areva a fait faillite, demain EDF ? Le nucléaire est cher et dangereux, le pragmatisme, c'est d'en sortir en priorisant le développement des énergies renouvelables, plus sûres, plus écologiques et meilleur marché.