Electricité verte et garanties d’origine chez Ekwateur : interview exclusive avec Julien Tchernia

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Suite à un article paru cette semaine sur le blog d'Ekwateur intitulé "Fournisseur d'énergie renouvelable : un métier parfois à risque" nous ayant intrigué, nous avons eu le plaisir de nous entretenir par téléphone avec Julien Tchernia, fondateur du fournisseur 100% vert. Il nous explique plus en détails le mécanisme européen des garanties d'origine, ses rouages et sa complexité pour un fournisseur d'énergie verte.

Selectra : Ekwateur vient de publier un article intitulé "Fournisseur d'énergie renouvelable : un métier parfois à risque". Ça nous a intrigué chez Selectra. Peut-être peut-on commencer, pour faire oeuvre de pédagogie, par rappeler ce qu'est l'électricité verte et ses différents types ?

Julien Tchernia : Lorsque l’on vend de l’électricité renouvelable, bien évidemment, rien ne change dans la prise puisque le réseau et le compteur ne changent pas. On ne trace pas un électron. Lorsque vous souscrivez une offre 100% renouvelable, l’électron qui arrive chez vous est donc le même.

La question de la traçabilité s’est donc assez vite posée au niveau européen au moment de l’ouverture du marché.

La question de la traçabilité s’est donc assez vite posée au niveau européen au moment de l’ouverture du marché. On a rapidement compris que certains fournisseurs souhaiteraient proposer des offres 100% renouvelables. Il a donc fallu s’interroger sur la façon dont cette traçabilité pourrait être assurée.

Pour répondre à cette problématique, en 2007, l’Europe (la France a suivi le pas peu de temps après), a créé un registre appelé le Registre des Garanties d’Origine, permettant à chaque producteur d’énergie renouvelable de recevoir un agrément de l’Etat du pays dans lequel il se trouve. Lorsque l’unité de production est agréée, le producteur recevra un certificat pour chaque mégawattheure (MWh) injecté sur le réseau.

Selectra : Quels types d’informations peut-on lire sur ce certificat ?

Julien Tchernia : Il s’agit concrètement d’un document inscrit dans un registre national sur lequel on trouve le numéro de l’installation, la source, le numéro de demande. Ces informations ne sont que données chiffrées. Par exemple, pour la source, on peut lire “F01050200” (voir document fourni par Ekwateur ndlr).

garantie origine
Un exemple de garantie d'origine

Lorsque l’on a cette garantie d’origine entre les mains, pour pouvoir dire qu’on est un fournisseur 100% renouvelable, il faut à un moment la consommer. Concrètement, lorsque nos clients consomment de l’énergie, nous allons sur le registre français à qui nous donnons un nombre de garanties d’origine correspondant à la consommation du client de façon à les utiliser, les faire sortir du marché. Ces garanties disparaissent de telle sorte que personne d’autre ne puisse s’approprier la consommation de l’énergie à laquelle elles correspondent.

Selectra : Pour quelle raison ce mécanisme de traçabilité est-il perçu par l’Ademe (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie) comme de l’énergie verte “Standard” et non “Premium” ?

Julien Tchernia : Il y a effectivement un gros débat sur les garanties d’origine car un producteur peut vendre son énergie à quelqu’un et vendre sa garantie d’origine à quelqu’un d’autre. Cela n’a aucune incidence sur l’impact climatique de la production. Ce n’est pas parce qu’un producteur d’énergie éolienne vend cette énergie à untel et la garantie d’origine à un autre qu’elle est moins efficace contre le réchauffement climatique.

La garantie d'origine permet donc aux producteurs de vendre leur énergie au moment des pics de production et de vendre leurs garanties d’origine plus tard, lorsque des fournisseurs renouvelables souhaitent les acheter.

Cela signifie en revanche qu’un fournisseur peut acheter son énergie d’un côté et ses garanties d’origine de l’autre de façon décorrélée. Le fait de pouvoir décorréler les deux est bénéfique pour le producteur qui peut en effet garder sa garantie pour plus tard et la vendre lorsqu’on veut lui acheter. Si ce mécanisme n’existait pas, le producteur serait contraint de vendre sa production au moment où il fait son pic de production alors qu’il n’y a pas de pic de consommation dans le même temps. Il l’a vendrait donc au prix du marché au lieu de pouvoir la vendre en ajoutant l’avantage financier que présente la garantie d’origine.

La garantie d’origine fonctionne sur l’année et non à chaque instant. Elle permet donc aux producteurs de vendre leur énergie au moment des pics de production et de vendre leurs garanties d’origine plus tard, lorsque des fournisseurs renouvelables souhaitent les acheter.

Si l’on se place du point de la logique économique, acheter l’énergie et la garantie d’origine séparément permet aux fournisseurs de proposer des prix intéressants à leurs clients. Cependant, certains clients, lorsqu’ils achètent de l’énergie 100% renouvelable, veulent être assurés que leur argent aille aux producteurs d’énergie renouvelable.

Selectra : C’est la raison pour laquelle Ekwateur propose les deux types d’offres d’énergie renouvelable ?

Julien Tchernia : Tout à fait. Dans le cadre de notre offre Premium, nous achetons la garantie d’origine et l’énergie au même producteur renouvelable. Nous comptons dans notre portefeuille une quarantaine de petits producteurs français dont une dizaine disponibles sur le site au moment de la souscription à qui il reste de l’énergie à vendre.

Selectra : Je reviens à l'article publié sur le blog d'Ekwateur qui nous a intrigué. Vous y expliquez qu'il peut-être difficile de s'assurer de la provenance de ces garanties d'origine. Vous dites même en avoir fait les frais ! Pourriez-vous nous raconter ce qui s’est passé et ce qui vous a mis la puce à l'oreille ?

Julien Tchernia : De nombreux acteurs et intermédiaires interviennent dans ce mécanisme des garanties d’origine. Concrètement, il existe des sociétés qui sont finalement des traders qui achètent ces garanties d’origine un peu partout en Europe et les revendent aux fournisseurs.

Nous sommes donc en contact avec des traders qui nous connaissent et savent que nous achetons des garanties d’origine. Chez Ekwateur, notre acheteur s’appelle Thomas. Il reçoit très souvent des appels de ces sociétés pour lui proposer l’achat de garanties d’origine à X euro pour tel volume et de telle provenance (hydraulique, biomasse etc.). En général, nous validons l’achat ensemble.

Entre le moment où nous recevons l’appel et le moment où nous devons donner notre réponse, il ne se passe pas plus d’un quart d’heure !

Entre le moment où nous recevons l’appel et le moment où nous devons donner notre réponse, il ne se passe pas plus d’un quart d’heure ! Le trader a contacté plusieurs entreprises, le premier qui répond gagne.

L'anecdote dont nous avons parlé dans l’article auquel vous faites référence est intéressante. Un jour, Thomas reçoit l’appel d’un des traders hollandais avec qui nous avons l’habitude de travailler qui lui propose des garanties d’origine pas chères pour de la biomasse. Thomas décide d’en acheter un certain volume et reçoit quelques jours plus tard le document d’attestation d’utilisation des garanties achetées.

En faisant des recherches approfondies comme nous le faisons systématiquement, Thomas s’aperçoit que le site de production est une centrale située en Allemagne sous l’appellation “Bloc A, Bloc B, Bloc C”, de la centrale “Jänschwalde”, correspondant aux appellations des grosses centrales nucléaires ou à charbon. Autant vous dire qu’en général, les noms sont plus “Lac X” par exemple (rires).

En investiguant un peu plus, Thomas s’est rendu compte que ces garanties d’origine provenaient d’une centrale à charbon.

Dans un autre lot cette année, on s’est aperçu que les garanties provenaient d’une raffinerie italienne !

Selectra : Comment est-il possible d’acheter des garanties d’origine à une centrale à charbon ?

Julien Tchernia : On peut imaginer qu’il y ait dans cette centrale à charbon un système de capture carbone poussé par l’Etat allemand contre la promesse d’obtenir des garanties d’origine, mais à vrai dire, je n’ai pas de réponse à cette question. Quoi qu’il en soit, ces garanties ont été émises par l’Etat allemand. A ce titre, il est donc probable que quelque chose dans cette centrale à charbon ait été validé par l’Etat comme renouvelable.

Selectra : Comment avez-vous réagi en découvrant la provenance de ces garanties ?

Julien Tchernia : Il était pour nous totalement exclu de les utiliser en ayant connaissance de leur provenance. Nous les avons donc simplement revendu à des sociétés acheteuses que nous connaissions. Nous avons donc été un maillon de la chaîne à notre corps défendant, mais au moins, nous n’en avons pas consommé l’énergie.

Vis-à-vis de nos clients, c’est pour nous très important. Nous basons nos rapports sur la confiance et nous nous investissons avec eux sur le long terme.

Selectra : Ces anecdotes ont-elles changé votre regard sur le mécanisme des garanties d’origine ?

Julien Tchernia : C’est assez surprenant que ce genre de choses puisse se produire. Je suis très content que ce label européen existe et le suis toujours. Il faut cependant être vigilant et ce sont aux fournisseurs de vérifier leurs achats.

Selectra : Avez-vous mis en place de nouveaux process de contrôle depuis ces épisodes afin d’éviter ce type d’achat non conforme à vos attentes ?

Julien Tchernia : Nous faisions déjà un contrôle assez scrupuleux qui nous a permis de repérer ces achats non conformes, mais nous nous sommes amélioré sur le temps de réaction.

Nous faisions déjà un contrôle assez scrupuleux qui nous a permis de repérer ces achats non conformes, mais nous nous sommes amélioré sur le temps de réaction.

Lors de l’épisode de la centrale à charbon allemande, nous avons mis plus d’un mois à gérer cela entre le moment où nous avons reçu les garanties d’origine et le moment où nous nous en sommes débarrassé.

Quand l’épisode de la raffinerie en Italie est survenu, nous avons rapidement réagi et avons pu annuler le deal avec le vendeur.

Selectra : Vous avez été l'un des premiers fournisseurs à proposer du gaz vert. Combien de % de vos clients bénéficient de cette offre ?

Julien Tchernia : Nous avons aujourd’hui 6000 de nos clients qui ont opté pour le gaz vert. Ce qui est intéressant, c’est que de plus en plus de clients souscrivent ces offres. Lorsque nous avons commencé à proposer l’offre Premium d’électricité il y a deux ans, environ 10% des clients la choisissaient. Au mois de septembre, nous étions passé à 35%.

On observe avec beaucoup de bienveillance une appétence pour les offres vertes qui suit l’émergence de mouvements de société pour lutter contre le réchauffement climatique.

Selectra : Selectra : Pensez-vous que l’offre soit en mesure de suivre la demande en matière d’énergie renouvelable ? Ne peut-on craindre une pénurie ?

Julien Tchernia : Aujourd’hui en France, 15% de la production est renouvelable, soit 4 millions de clients sur les 30 millions de compteurs. A mon sens, il y a de la marge. Si on veut se limiter aux petits producteurs, dont les puissances d’installation ne dépassent pas une certaine limite, nous risquons une saturation.

Notre but en temps que producteur de demande, c’est d’avoir un nombre de clients si important que cela pousse à la construction de nouveaux parcs. Nous ne voulons pas nous contenter de vendre de l’énergie déjà produite. Nous voulons jouer ce rôle, c’est pour cela que nous sommes là.

Selectra : Quelles sont vos ambitions en termes de nombre de clients pour 2020 ?

Julien Tchernia : Notre croissance est si importante que je ne me suis même pas posé la question (rires). Nous sommes à 200 000 clients. Pourquoi ne pas viser les 300 000 en fin d’année prochaine ?

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