La Cour des Comptes réévalue le coût du nucléaire à la hausse

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La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les coûts de la filière nucléaire avait demandé à la Cour des comptes un rapport sur les coûts de production de l’électricité d’origine nucléaire. Celui-ci vient d’être rendu public. C’est la deuxième fois en deux ans que la Cour des comptes s’empare de ce sujet sensible, avec des conclusions sévères.

Une dérive des coûts

Le président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée, le député (PS) François Brottes, avait demandé à la Cour des Comptes d’examiner ce qui apparaissait de plus en plus comme une dérive inquiétante des coûts de production de l’énergie nucléaire. La commission* qu’il préside doit rendre son rapport le 10 juin. Elle pourra s’appuyer sur le rapport de la Cour des comptes, que son premier président vient de présenter. Un rapport dur, alors même que les sages de la rue Cambon s’étaient déjà attaqués à la thématique explosive du nucléaire en janvier 2012. Pour rappel, Henri Proglio, PDG d’EDF, met systématiquement en avant la hausse des coûts de production de l’électricité pour justifier les hausses de prix (+15% depuis juillet 2013) des tarifs réglementés de l’électricité. A raison, comme l’a d’ailleurs remarqué le Conseil d’Etat, plus haute juridiction du pays.

Cette fois-ci, la vénérable institution, héritière des Cours souveraines de l’Ancien régime, a présenté un rapport aux conclusions salées. Le coût de production de l’électricité nucléaire a augmenté de 20% entre 2010 et 2013. Il est maintenant de 59,8 €/MWh contre 49,6 €/MWh trois ans plus tôt. En cause : l’augmentation des charges, maintenance en tête. Ces dernières ont augmenté de 117% entre 2010 et 2013, en grande partie pour adapter le parc des centrales françaises aux nouvelles normes de sécurité issues de la catastrophe de Fukushima. Le prix de la gestion des déchets nucléaire est aussi en forte hausse (+14,8%). Les dépenses d’exploitation augmentent quant à elles de 10,9% entre 2010 et 2013.

Des hausses de coûts prévisibles

La Cour des comptes n’a pas pris la peine de feindre la surprise. Selon son premier président, Didier Migaud, « cette forte évolution n’est pas surprenante». Elle était en effet anticipée dans les conclusions du rapport de 2012. Le principal contributeur de la hausse des coûts était alors déjà la croissance des coûts d’exploitation (+11% entre 2008 et 2010), c’est-à-dire la croissance de ce qu’il coûte à EDF pour que les 58 réacteurs que la société exploite sur 19 sites continuent de produire. Selon la Cour, ces charges augmenteraient encore de 1,4 % par an entre 2013 et 2025.

Mais cette hausse des prix n’est pas due qu’à des éléments d’exploitation. Les magistrats dénoncent également la hausse des impôts et la montée des prix du combustible. Cependant, une très grande part de l’augmentation de 20,6% (à prix constant) du prix du mégawatheure nucléaire (entre 2010 et 2013) est le fait des investissements massifs d’EDF, comptabilisés dans les coûts de production. Pour l’institution de Didier Migaud, le message à faire passer est simple : si la facture monte, c’est qu’EDF investit beaucoup. Et cette fois, c’est un autre programme d’EDF qui est en cause : le grand carénage.

Le "Grand carénage" en question

En effet, le programme de prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans (le grand carénage) demande au géant français de l’électricité d’investir des sommes considérables. Ce sont au total 55 milliards d’euros qui devraient être consacrés à la modernisation des centrales d’ici 2025. Toutes les autorisations nécessaires à l’allongement de la durée de vie des centrales n’ont cependant pas encore été obtenues. Il manque par exemple celle de l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Etat lui-même ne s’est pas encore prononcé. Mais EDF anticipe la décision des régulateurs et procède déjà au remplacement des générateurs de vapeur. Des investissements considérés comme de la maintenance : ils sont passés de 1,75 milliard d’euros en 2010 à 3,8 milliards en 2013. Selon des projections d’EDF, ils pourraient même monter à 4,3Mds€ par an.

Et ce n’est pas fini. Si l’âge de la retraite pour les centrales françaises est effectivement repoussé de 40 à 50 ans de service, le Cour prévoit que le prix de l'électricité sur le marché de gros atteigne en conséquence 62€ d’ici 2025. De quoi redonner de la compétitivité aux centrales thermiques. C’est donc bel et bien un scénario de hausse massive des prix de l’électricité que présente la Cour à la commission.

Le gouvernement appelé à fixer des orientations à moyen terme

Le remplaçant de Philippe Seguin appelle aussi le gouvernement à "prendre rapidement position dans le cadre de la fixation des orientations de la politique énergétique à moyen terme, sur le prolongement de la durée d'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans". La loi de transition énergétique qui devrait être présentée en conseil des ministres cet été par Ségolène Royal devra statuer sur ce sujet. Si la décision politique n’arrive pas, la facture du grand carénage, estimée par la rue Cambon à « environ 110 milliards d'euros courants d’ici 2033 », pourrait exploser. Mais cette fois, ce nouvel accident nucléaire n’aura pas la touche esthétique du champignon…

* : Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim.

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