Exportation de gaz russe

Guerre en Ukraine : la France peut-elle se passer du gaz russe ?

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La guerre en Ukraine a renforcé la volonté de l'Europe et de la France de s'affranchir de sa dépendance au gaz russe. Retour au nucléaire, importations de GNL en provenance des Etats-Unis, développement des énergies renouvelables : la France est-elle réellement en mesure de se passer du gaz russe ? Possède-t-elle les ressources suffisantes pour garantir la sécurité d'approvisionnement énergétique de ses citoyens aujourd'hui et pendant l'hiver prochain ?

La France, dépendante à 20 % du gaz russe

Le gaz russe, une part importante des importations de gaz en France

La quantité de gaz russe importée par la France pour répondre aux besoins de consommation du pays est loin d'être négligeable : en 2019, sa part dans les importations de gaz en France était de 20 %1.

Toutefois, cela signifie que la France ne dépend pas uniquement de la Russie pour les importations de gaz. La Norvège demeure le partenaire majoritaire de l'hexagone, avec 36 % des importations en 2019.

1Source : Imports of natural gas in France - 2019, Eurostat.

Des pays européens encore plus dépendants au gaz russe

En moyenne, la Russie a fourni environ 40 % du gaz consommé en Europe en 2021. Cela en fait le premier exportateur de gaz sur le vieux continent. Cependant, il existe de grandes disparités entre les pays.

Si elle importe près de 20 % de gaz provenant de Russie, la France n'est pas le pays le plus dépendant du gaz russe. En effet, certains Etats importent 100 % de gaz russe : c'est notamment le cas de la Slovaquie, la Lettonie, l'Estonie et la République Tchèque, par exemple.

Le gaz russe représente la moitié de l'approvisionnement de certains pays, tels que l'Allemagne et l'Italie. D'autres pays sont, quant à eux, très peu dépendants de la Russie pour les importations de gaz : l'Espagne, par exemple, qui s'appuie principalement sur les importations provenant d'Algérie et des États-Unis.

En cas d'une coupure des arrivées de gaz russe suite à une décision d'embargo ou d'arrêt des exportations russes, la France serait donc moins fortement touchée que certains pays d'Europe. Cependant, les marchés des pays européens étant liés, tous les prix du gaz connaissent une forte hausse depuis le début de la guerre en Ukraine. Cette augmentation concerne tous les pays, même les moins dépendants de la Russie.

La Pologne et la Bulgarie ne reçoivent déjà plus de gaz russe Depuis le 27 avril 2022, la Pologne et la Bulgarie ont vu leurs importations de gaz russe coupées. Le groupe gazier russe Gazprom a en effet mis ses menaces à exécution en arrêtant complètement l'approvisionnement en gaz naturel dans le cadre du contrat Yamal. Dans ce contexte, il est devenu essentiel pour l'Europe de disposer immédiatement d'alternatives solides, suffisantes et durables.

Des stocks de gaz en bonne voie de remplissage en France

Les stocks de gaz français remplis à 47 %

importations de gaz

Face au risque de coupure des exportations de gaz russe, la France se voit dans l'obligation de se pencher sur les questions de l'autosuffisance ainsi que l'état de remplissage de ses stocks.

En mai 2022, les stocks français étaient à 47 % de leur capacité de remplissage. Au début du printemps, ils n'atteignaient que 19 %, comme le souligne Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, gestionnaire du réseau de transport de gaz principal en France. Il ajoute la nécessité de prolonger cette tendance : "L'enjeu de l'été, c'est de remplir les stockages correctement". En effet, le gaz naturel est consommé tel quel, mais est également utilisé pour produire de l'électricité. La sécurité d'approvisionnement en électricité est donc en jeu.

En parallèle, la France s'appuie aussi sur l'augmentation des capacités d'importations de gaz naturel liquéfié (GNL) au sein de terminaux méthaniers existants ou en projet. Thierry Trouvé évoque notamment un "projet très important (...) qui aura à peu près la capacité d'accueillir l'équivalent de la moitié de la consommation française de gaz russe". De quoi compléter les stocks de gaz français lorsqu'il sera achevé.

Des stocks suffisants pour l’hiver 2022-2023 ?

année 2022-2023

Tout l'enjeu d'ici à l'hiver est de reconstituer des stocks de gaz suffisants pour sécuriser l'approvisionnement de la France pour l'hiver. Dans cet objectif, Thierry Trouvé insiste sur la nécessité d'aller au-delà de la réglementation qui se situe à 85 % de remplissage.

Des stocks correctement remplis permettraient de "mettre le pays à l'abri d'un défaut de gaz russe durant l'hiver", explique Thierry Trouvé. "Plus on se rapproche de 100 %, mieux on sera pour faire face à un aléa cet hiver", ajoute-t-il.

Pour économiser les quantités de gaz stockées en France, il n'est pas exclu que le gouvernement réduise la consommation des grands consommateurs industriels en cas de grand froid. Les particuliers, les principaux services publics essentiels et les entreprises les plus fragiles ne seraient donc, a priori, pas concernés par ces coupures.

"Il ne faut pas que les Français aient froid cet hiver, il ne faut pas que l'industrie soit perturbée", rassure Thierry Trouvé. Pour lui, la vraie solution de l'indépendance énergétique française se situe dans le "verdissement du gaz". Il précise : "Nous pensons qu'à l'horizon 2030, la totalité du gaz russe importé en France pourrait être remplacée par du biométhane produit localement."

La France est-elle « en mesure de se passer du gaz russe » ?

Le président de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE), Jean-François Carenco, l'annonçait sur BFM le 1er juin 2022 : la France est "à même, compte tenu des mesures qui ont été prises, de supporter une coupure du gaz russe" en cas d'arrêt des exportations ou d'un embargo. Selon lui, le gaz russe "n'est pas majeur dans la disponibilité française".

Alors qu'il alertait sur les risques d'insécurité d'approvisionnement énergétique au début de la guerre en Ukraine, il se veut aujourd'hui plus rassurant : "L'inquiétude qui était la mienne il y a 4 ou 5 mois s'affaiblit".

Cependant, Jean-François Carenco souligne la nécessité de prolonger les mesures mises en place afin d'assurer "la bonne tenue du système français de stockage, des remplissages dans les terminaux méthaniers, de l'augmentation de la fluidité de ces terminaux et de l'existence, bientôt, d'un terminal méthanier flottant supplémentaire".

Enfin, le président de la CRE se déclare "attentif" à l'approvisionnement en électricité du pays. S'il admet qu'il existe des "problèmes", il garantit qu'il y a des "solutions possibles". Pour faire face aux manques à gagner, le gouvernement prévoit en effet une série de mesures pour limiter la consommation française (développement du système d'effacement dans les grandes surfaces, ou encore hausse des capacités d'interruptibilité dans les grandes industries, voire une réduction de la consommation globale, s'il le faut). Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, affirmait en mai 2022 sur France Info que la France ne devrait pas avoir de "difficultés" si l'hiver n'est pas trop rude.

Enfin, la Commission européenne prévoit en parallèle de diversifier ses approvisionnements en gaz en augmentant les importations provenant d'Azerbaïdjan, d'Algérie et de Norvège par les gazoducs, notamment.

L’énergie nucléaire, une ressource encore fiable pour atteindre l’indépendance énergétique ?

Depuis les chocs pétroliers des années 1970, la France a trouvé dans la production nucléaire un levier d'indépendance énergétique vis-à-vis des autres pays. Il s'agit d'ailleurs une véritable spécificité française : c'est l'un des seuls pays à placer le nucléaire en tête de son mix énergétique. Malgré les polémiques sur ce mode de production, le nucléaire revient aujourd'hui au centre de la stratégie de souveraineté française : il apparaît comme un levier sûr et immédiatement actionnable pour atteindre l'indépendance énergétique.

Malgré tout, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous : plus de 30 réacteurs sur les 56 que compte la France sont actuellement à l'arrêt. Un manque à gagner qui affecte fortement la production française.

Alors, comment expliquer cette sous-capacité de production par rapport aux résultats escomptés ? Voici les 3 raisons pour lesquelles plus d'un réacteur sur 2 sont à l'arrêt en France :

  • 12 réacteurs sont en cours de maintenance ou de visite décennale, ce qui implique un arrêt temporaire qui était prévu ;
  • Plusieurs réacteurs sont concernés par des problèmes de corrosion identifiés depuis la fin de l'année 2021. Ce problème de sûreté concerne aussi bien les réacteurs les plus puissants que les plus petits, soit une grande partie de la production française. Les études menées pourraient même faire état d'un problème de conception qui engloberait tout le parc nucléaire du pays. Cela pourrait toucher largement la production nucléaire française et impliquerait des processus de réparation importants ;
  • Le manque de précipitations et les fortes chaleurs entraîne un réel manque d'eau, ce qui entrave le système de refroidissement des réacteurs nucléaires. Par exemple, la puissance de l'un des réacteurs de la centrale du Blayais (Gironde) a été réduite de 100 MW durant plusieurs heures à cause de la sécheresse.

Au moment où l'État compte sur lui pour subvenir aux besoins énergétiques du pays, le parc nucléaire français n'est donc pas à son niveau de performance optimal. Selon Jean-Luc Mélanchon, interviewé le 22 mai 2022 dans l'émission Le Grand Jury sur RTL, la situation pourrait perdurer :

La moitié des réacteurs nucléaires sont déjà à l’arrêt, en partie pour des raisons de corrosion. Je vous mets en garde, il risque d’y en avoir d’autres cet été à cause de la sécheresse

Le GNL américain, une solution vraiment pertinente pour compenser l’absence de gaz russe ?

La deuxième grande alternative au gaz russe réside dans l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie maritime, en provenance des Etats-Unis.

Un contrat déjà signé entre Engie et l’américain Nextdecade

Contrat signé en France

Et la France en a déjà saisi l'opportunité : le groupe Engie a récemment signé un contrat de 15 ans avec l'américain Nextdecade. À la clé : 1,75 millions de tonnes de GNL extraits du Texas et livrées à Engie dès 2026 (date à laquelle les terminaux d'accueil du GNL seront achevés en France).

La solution du gaz naturel liquéfié représente en effet une possibilité de sécuriser l'approvisionnement en gaz du pays et de stabiliser les prix qui ont considérablement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine.

La France pourrait aussi faire importer du GNL par voie maritime depuis l'Afrique de l'Ouest, l'Egypte ou encore l'Australie. Un budget de 10 milliards d'euros devrait même être débloqué pour permettre le déploiement des infrastructures nécessaires à l'accueil de grandes quantités de GNL d'ici à 2026 (on évoque environ 60 milliards de mètres cubes pour 2022).

Le GNL, une solution peu respectueuse de l’environnement

Mais cette alternative présente un inconvénient majeur : son fort impact sur l'environnement.

Il faut savoir que le gaz naturel liquéfié est issu du procédé de fracturation hydraulique, interdit en Europe pour ses effets néfastes sur l'environnement. En effet, le GNL provient d'un gaz de schiste extrait d'une roche.

Nicolas Goldbert, spécialiste de l'énergie, s'exprimait à ce propos en mai 2022 au micro d'Europe 1 :

Il y a une certaine contradiction européenne à dire que l'on n'extrait pas de gaz de schiste chez nous parce que c'est cher et polluant, et à en importer.

Si le GNL représente une solution efficace pour assurer la sécurité d'approvisionnement du pays, il n'est pas sûr qu'elle soit acceptable à moyen et long terme sur le plan écologique. Particulièrement dans le contexte d'urgence climatique actuel. Ce dilemme illustre parfaitement la difficulté de trouver des solutions alternatives à la fois efficaces et durables, dans le contexte actuel.

Le GNL, une alternative pas si fiable

À l'inconvénient écologique s'ajoute le fait que le prix du GNL risque lui-même d'augmenter fortement face à des marchés particulièrement tendus et à une offre limitée.

Et les rebondissements ont déjà commencé : début juin une explosion s'est produite sur le terminal américain d'exportation de GNL Freeport LNG, au Texas, entraînant la fermeture du site pour une durée minimale de 3 semaines.

Une dure nouvelle pour les clients européens qui attendaient des livraisons importantes des Etats-Unis afin de remplir leurs stocks en prévision de l'hiver.

Alors, comment faire pour se passer du gaz russe tout en limitant le recours aux énergies fossiles, épuisables et néfastes pour la planète ?

Les énergies renouvelables, la réponse-clé du plan REPowerEU

Le 18 mai 2022, la Commission européenne a présenté REPowerEU, un plan à 300 milliards d'euros visant à faire sortir l'U.E. de la dépendance au gaz russe d'ici à 20271. Au programme : économies d'énergie, diversification des approvisionnements, mais aussi et surtout un déploiement massif des énergies renouvelables.

1Source : L’Europe peut-elle se passer du gaz russe ?

Un investissement massif dans les énergies renouvelables

energies renouvelables

Le plan REPowerEU prévoit d'accélérer considérablement le développement des énergies renouvelables sur le territoire. L'objectif : passer de 40 à 45 % leur part dans le mix énergétique européenne d'ici à 2030, ce qui équivaudrait à un total de 1 236 GWd'énergie issue de ressources renouvelables.

Ain de concrétiser cette ambition, un budget de 113 milliards d'euros doit être alloué au déploiement des EnR dans l'Union européenne.

Le solaire, l’axe de développement majeur

Pour ce faire, la Commission européenne entend mettre l'accent sur le développement de l'énergie solaire photovoltaïque, la plus rapide à mettre en place.

L'E.U. entend ainsi outrepasser la barre des 600 GW de capacité avant 2030.

Cela implique de développer massivement les centrales photovoltaïques sur les toitures. Ainsi, tous les bâtiments commerciaux et publics d'une surface supérieure à 250 m2 devront en être équipés, tout comme les nouveaux bâtiments résidentiels.

Enfin, l'Europe prévoit de faciliter les procédures d'autorisation et de réduire les délais d'obtention de permis pour les infrastructures solaires et éoliennes.

La sobriété énergétique, indispensable pour accéder à l'indépendance énergétique La stratégie de développement des énergies renouvelables dans l'Union européenne est inéluctablement associée à une réduction des consommations d'énergie. Ursula Von Der Leyen promouvait elle-même cette idée dès le début de la guerre en Ukraine sur France Info : "Chacun [peut] faire pression en réduisant sa consommation d'énergie", affirmait-elle alors. Cette démarche de sobriété s'impose aujourd'hui comme la condition sine qua non de l'indépendance énergétique du vieux continent, en complément des solutions alternatives de production et d'importations : c'est la seule mesure qui peut permettre de réduire les besoins en gaz et en électricité de façon immédiate et effective. L'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) encourage ainsi les consommateurs à baisser le thermostat de leur chauffage d'un degré, à diminuer leur vitesse sur l'autoroute, ou encore à privilégier le télétravail. "Ces suggestions sont pratiques, faciles à mettre en œuvre et ont déjà été appliquées à plusieurs reprises dans des contextes différents"2, explique le directeur exécutif de l'AIE, Fatih Birol.

2Source : Les « petits gestes » peuvent avoir un gros effet pour réduire la dépendance aux énergies russes, Connaissance Des Energies, 21 avril 2022.

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