Le pellet, danger pour la forêt française, selon un rapport
En incitant les exploitants forestiers à valoriser des branches autrefois laissées sur place, et en empiétant sur le bois d'oeuvre, le bois énergie (le granulé donc) représente une menace pour la forêt française, selon le rapport du collectif « Pour un réveil écologique ». Pourtant, le granulé de bois est l'énergie la moins taxée, la plus locale, une des moins carbonées, et souvent la moins chère. Tire-t-on encore sur l'ambulance ?
Le pellet, une source d'énergie favorisant la transition écologique et la neutralité carbone, vraiment ?
Plus de 200 000. C'est le nombre de poêles à granulés qui est vendu chaque année en France. Un chiffre qui montre le regain d'intérêt pour le bois énergie, solution sobre, locale et décarbonée. Aujourd'hui, plus de 2 millions de foyers français se chauffent au pellet à la maison.
Les raisons principales de ce succès ? D'abord, le prix et les économies que cette source d'énergie permet. La tonne de granulés de bois se vend environ 350€, soit 7 centimes par kWh. 30% moins cher que le gaz, 3 fois moins cher que l'électricité (voir les ordres de grandeur). Sa dimension écologique et respectueuse de l'environnement rentre aussi en ligne de compte. En effet, les directives européennes RED II/RED III sur les énergies renouvelables avancent que la combustion du bois est neutre en carbone. Seules ses activités de transformation et de distribution émettent du CO2.
Mais le jugement de l'association « Pour un réveil écologique » envers le bois-énergie est dur. Créée fin 2018, il s'agit d'un collectif œuvrant en faveur d'une transition socio-écologique. En octobre 2024, il a justement publié un rapport sur le bois énergie (BE), conclusion d'un an de travail et d'entretiens avec de multiples acteurs du secteur (experts forestiers, industriels, pouvoirs publics…). Les auteurs affirment que le développement du bois-énergie empiète sur le bois-industrie (papier, carton, panneaux isolants) et le bois d'oeuvre (construction). Et ce, alors que le bois-industrie et le bois d'oeuvre ont un meilleur bilan carbone que le bois énergie.
Ainsi, le bois, « première biomasse mobilisée en France à des fins énergétiques », ne serait pas si vertueux que ça au niveau écologique. Et ce, qu'il soit brûlé sous forme de bûches, de plaquettes ou de pellets. Pour les auteurs, son utilisation en bois industrie (BI), soit la réalisation de produits transformés, est préférable. La raison :
- si le bois énergie et les chaudières à biomasse rejettent du CO2 ;
- l'utilisation du bois en BI, pour construire un panneau de bois isolant par exemple, n'a pas ce défaut. Le carbone stocké dans le panneau y demeure et n'impacte pas négativement l'atmosphère.
Au niveau écologique, « le débouché en BI sera strictement meilleur d'un point de vue carbone par rapport au BE », notent les auteurs.
« La bonne santé de nos forêts » menacée par la course aux pellets, dénonce le rapport
Les filières bois énergie et bois industrie se nourrissent de coupes appelées d'éclaircies ou d'amélioration. Elles doivent permettre à d'autres arbres de pousser pour produire, à terme, du bois d'œuvre (BO), destiné aux usages « nobles » du bois. Historiquement, le bois-énergie n'est qu'un complément du BI. Or, dans certaines régions, la proportion de la filière énergie est déjà bien plus importante que l'industrie, comme :
- dans les Hauts-de-France ;
- dans l'ouest (Normandie, Bretagne, Pays de la Loire) ;
- en Île-de-France ;
- en PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur).
Un élément explique cela d'après le rapport : le fait que le BE bénéficie de 50 % de toutes les subventions publiques accordées à la filière bois. Un soutien que ses auteurs jugent disproportionné. Néanmoins, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) a déjà prévu une hausse d'environ 100 % de la biomasse en 2050 vis-à-vis de 2015, dont 60 % en plaquettes forestières. Ainsi, le nombre de foyers chauffés au bois devrait passer de 7 millions aujourd'hui à 10 millions dès 2035.
Une évolution qui n'est pas sans poser question sur le devenir des forêts françaises. En effet, la progression de la demande en pellets et BE, pour remplacer les chaudières à gaz ou à fioul, a un impact majeur. Celui d'augmenter les coupes d'éclaircies ou d'amélioration réalisées spécifiquement dans ce but, et non pour favoriser le bois d'œuvre.
Autre problème : lors des coupes, les propriétaires laissent traditionnellement une partie du bois en forêt. Entre feuilles, écorce et branches fines, les troncs restant sur place se décomposent et apportent de nombreux minéraux « particulièrement bénéfiques pour les sols ». Toute cette matière permet donc de « nourrir le sol », d'après le témoignage d'un expert interrogé par les auteurs du rapport. Sans compter que ce processus de décomposition est un pilier fondamental soutenant la biodiversité forestière, avec 10 000 espèces d'organismes qui y résident :
- champignons ;
- coléoptères ;
- insectes ;
- mousses…
De mieux en mieux valorisé financièrement, le bois-énergie concerne désormais souvent même le houppier, ce qui réduit le volume de branches laissé sur place après une coupe, et donc la fertilité des espaces forestiers. Ce mouvement met ainsi en danger « la stabilité de la bonne santé de nos forêts », estime un autre expert cité. Voilà pourquoi, pour le rapport, le bois utilisé en tant que BE « doit être vu comme des produits commercialisés de manière connexe ». Autrement dit, il « ne doit surtout pas devenir l'objectif principal des peuplements gérés » en forêt.
Des projets de méga-usines à pellets face à l'opposition de militants et d'associations
Autre problème pesant sur la forêt du fait du boom de la production de bois énergie : l'augmentation du poids des machines utilisées. Son usage :
- « induit un tassement des sols agricoles et forestiers ;
- ce qui dégrade sur le long terme leur fonctionnement biologique et […] leur fertilité ».
Ce qui serait préférable pour l'environnement forestier ? L'utilisation de machines plus légères. Cependant, celles-ci sont synonymes de rendements moindres et de coûts d'exploitation plus élevés, ce qui explique le recours toujours plus important à des machines lourdes.
Avec la dynamique en cours, que restera-t-il de nos forêts et de leurs riches écosystèmes à l'avenir ? En Creuse, le porteur d'un projet de méga-scierie prévoit de prélever 180 000 hectares de bois en plus, à 80 % dans des forêts de feuillus. D'autres pistes d'exploitation forestière pour la filière BE et BI sont à l'étude ou en phase de développement, dans les Pyrénées ou le sud-ouest notamment. Bruno Doucet, de l'association Canopée, fait observer que « l'état de santé [de la ressource forestière] se dégrade rapidement ».
En Corrèze, c'est le projet d'agrandissement d'une méga-usine de granulés à bois qui provoque une vive opposition. Une manifestation récente a même réuni 2 500 personnes. « Ce sont des milliers d'hectares qui vont être prélevés chaque année et donc des écosystèmes détruits », affirme Thibault Évin, son porte-parole. À ses yeux, « ces mégaprojets sont des machines à déforester ».
De leur côté, les défenseurs des méga-usines avancent que les pellets proviennent :
- à 95 % de résidus de scieries et de sciure de bois ;
- et seulement à 5 % de l'exploitation forestière.
Cependant, il n'en reste pas moins vrai que les volumes de BE commercialisés ont été multipliés par 2 en 10 ans. D'après Reporterre, ils représentent désormais 68 % du bois récolté, alors que la part du bois d'œuvre, elle, ne cesse de fondre. Ainsi, le directeur de Canopée, Sylvain Angerand, redoute avec tous ces projets « une pression insoutenable sur les forêts ».
Crainte que partage aussi le collectif « Pour un réveil écologique » qui prévient des risques :
- d'une raréfaction du bois mort en forêt ;
- d'« une incitation à prélever une quantité de bois plus importante que nécessaire pour […] satisfaire la demande »
- de hausses de prix en cas de pénuries dans certaines régions éloignées. Durant l'hiver 2022-23, le prix des granulés à bois avait dépassé les 500 € par tonne.
Voilà pourquoi la dernière partie du rapport est consacrée à une série de propositions sur les pellets et pour la sauvegarde des forêts françaises.
- Les principales propositions de « Pour un réveil écologique » :
- Supprimer les subventions aux chaudières bois de l'ADEME pour créer un nouveau fonds soutenant les usages du bois dans leur ensemble ;
- Soumettre à l'avis consultatif obligatoire d'experts forestiers régionaux toute nouvelle installation consommant de la plaquette forestière ;
- Aider les investissements et la production de panneaux et d'isolants bois, nécessaires à la rénovation énergétique des logements à mener ;
- Taxer davantage le commerce en ligne, consommant beaucoup d'emballages cartonnés et de la pâte à papier issue du bois, afin de préserver la ressource forestière ;
- Encourager les aides à l'investissement pour la mécanisation de machines légères et améliorer la formation à la sylviculture. Le but : renforcer la résilience des forêts et protéger leurs fonctionnalités écologiques.
On attend donc des pouvoirs publics une clarification de la politique nationale sur le bois-énergie, afin de donner de la visibilité à la filière. C'est également important pour les particuliers qui investissent des sommes considérables pour s'équiper en chaudière ou en poêle, convaincus d'agir pour le bien de l'environnement !