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"Le superéthanol E85 permet d'économiser 500€ tous les 13 000 kilomètres." Nicolas Kurtsoglou

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Selectra s'est entretenu avec Nicolas Kurtsoglou, responsable carburants au SNPAA (Syndicat National des Producteurs d'Alcool Agricole). Il nous présente le marché du bioéthanol, carburant à la fois écologique et économique.

Selectra : Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu'est le bioéthanol ?

Nicolas Kurtsoglou : Le bioéthanol est un biocarburant que l’on ajoute dans l’essence, et qui est produit à partir de betteraves, blé, maïs, résidus sucriers ou résidus amidonniers. Il est produit en France.

On trouve de l’éthanol à différents pourcentages dans toutes les essences : à 5% dans le sans plomb 95 et sans plomb 98, à 10% dans le sans plomb 95-E10. On trouve également du bioéthanol entre 65% et 85% dans le superéthanol E85. Il est incorporé dans tous les carburants de type essence.

Le bioéthanol pur réduit de 70% les émissions de CO2 par rapport à l’essence.

Il s’agit de biocarburant produit à 99% en France. En plus de réduire le CO2, cela permet une indépendance énergétique, puisque tout ce qu’on produit en bioéthanol chez nous, c’est autant de pétrole importé en moins. Cela a également un impact positif sur l’emploi en zone rurale, 8 900 emplois directs et indirects sur la filière bioéthanol. Ensuite il y a aussi un avantage écologique bien sûr, le bioéthanol pur réduit de 70% les émissions de CO2 par rapport à l’essence. Cela signifie que le superéthanol E85 les réduit quant à lui de 50%. Le produit concret acheté à la pompe, c’est 50% de réduction de CO2.

Selectra : Comment le bioéthanol est-il fabriqué ?

Champ cultivé

Nicolas Kurtsoglou : Les producteurs d’éthanol sont des sociétés coopératives qui appartiennent aux agriculteurs. Les agriculteurs livrent des betteraves dans les sucreries. La betterave est coupée en morceaux et placée dans de l’eau chaude.

On y extrait le sucre une première fois, puis une seconde fois. Ce dont on ne peut pas extraire le sucre économiquement est envoyé en fermentation et cela donne de l'éthanol et de l’eau que l’on déshydrate. Cela donne ensuite de l'éthanol pur. Enfin, l’éthanol est vendu dans un dépôt pétrolier et mis à 5%, 10% ou 85% dans respectivement les trois carburants SP95, SP95-E10 et Superéthanol-E85.

Selectra : Le Syndicat National des Producteurs d'Alcool Agricole - SNPAA - que vous représentez, est l’un des plus grands acteurs dans l’utilisation de l’éthanol dans les essences...

Nicolas Kurtsoglou : Le SNPAA est l’association qui représente les industriels du bioéthanol, c’est-à-dire les sociétés qui produisent du bioéthanol comme Tereos, Cristal Union, Vertex Bioenergy, Roquette et Saint Louis Sucre. Il y a une 16 usines d'alcool agricole en France.

Selectra : Combien d’hectolitres de bioéthanol sont produits chaque année ?

Nicolas Kurtsoglou : La France est le premier producteur de bioéthanol européen. Nous fabriquons 12 millions d'hectolitres de bioéthanol et sommes exportateurs. La France est en effet excédentaire puisqu’elle consomme environ 8 millions d’hectolitres de bioéthanol et en produit 12 millions pour une capacité de 15 millions d'hectolitres.

Selectra : Combien d’usagers utilisent aujourd’hui le bioéthanol ?

E85

Nicolas Kurtsoglou : Aujourd’hui, environ 10 millions de voitures à essence utilisent du bioéthanol, mais à 5% ou 10% au sans plomb 95, sans plomb 98 et sans plomb 95-E10. Le superéthanol E85 peut être utilisé dans deux types de voitures : les voitures dites “flexfuel”, vendues d’origine par les constructeurs automobiles pour rouler au superéthanol E85 ou avec une des trois essences précitées.

De même que l’électrique ne remplacera pas toutes les voitures à court ou moyen termes, il n’y aura pas 100% de voiture roulant au bioéthanol à court terme.

Il peut également être utilisé pour une voiture essence sur laquelle on met un petit boîtier d’adaptation au superéthanol-E85. Potentiellement 10 millions de voitures peuvent être équipées de boîtier homologué par l'Etat pour rouler au superéthanol-E85.

De même que l’électrique ne remplacera pas toutes les voitures à court ou moyen termes, il n’y aura pas 100% de voiture roulant au bioéthanol à court terme. Il y aura un mix énergétique : une partie d’électrique, une partie d’hydrogène, une partie de biogaz, de biodiesel, du bioéthanol, mais aussi et surtout une baisse de la consommation de chaque voiture. Une solution très intéressant est une voiture hybride flexfuel, c’est-à-dire une voiture hybride électrique/superéthanol-E85. Cela permettra d’économiser beaucoup d’énergie fossile.

Selectra : Le superéthanol E85 est donc un carburant moins cher et plus vert. Comment expliquez-vous qu’il ait mis autant de temps a être déployé et que sa consommation ne soit pas plus largement évangélisée aujourd’hui ?

Nicolas Kurtsoglou : Le Superéthanol-E85 a été lancé en 2007. Il y avait alors des voitures flexfuel mais un manque de stations-services. Puis il y a eu des stations-services et un manque de voitures. Aujourd’hui, nous avons à la fois des stations-services qui ouvrent de plus en plus et des voitures, grâce aux boîtiers. Nous sommes en train de travailler avec plusieurs constructeurs automobiles à un retour des véhicules flexfuel d’origine. Ford proposera notamment un SUV flexfuel à partir de juin. C’est un cercle vertueux qui a mis un peu de temps à se mettre en place mais aujourd’hui toutes les planètes sont alignées.

Selectra : Donc les ventes d’essence contenant du superéthanol-E85 ont décollé en 2018 apparemment de 50%.

Les ventes de superéthanol-E85 ont augmenté de 55% entre 2017 et 2018.

Nicolas Kurtsoglou : Oui ! Les ventes de superéthanol-E85 ont augmenté de 55% entre 2017 et 2018. Et sur les 4 premiers mois 2019, on enregistre un doublement de la consommation de superéthanol-E85 par rapport à janvier/avril 2018.

Selectra : Cela a pu avoir lieu grâce à la mise en service des fameux boîtiers homologués dont il existe 8 catégories différentes c’est bien cela ?

Nicolas Kurtsoglou : Oui, il y a 8 catégories homologuées par 3 fabricants différents. Un 4ème fabricant devrait obtenir une catégorie homologuée prochainement.

Selectra : Pouvez-vous nous expliquer rapidement le fonctionnement de ces petits boîtiers ?

Nicolas Kurtsoglou : Oui. En fait, le bioéthanol contient un peu moins d’énergie que l’essence. Donc pour optimiser la combustion dans le moteur, le boîtier doit envoyer une indication au moteur qu’il faut injecter un petit peu plus pour qu'il y ait la bonne quantité d’énergie qui brûle dans le cylindre au moment de l’étincelle.

Selectra : Où peut-on trouver ces boîtiers ?

Nicolas Kurtsoglou : Toutes les informations sur les boîtiers sont sur infoe85.fr. La liste des fabricants de boîtiers homologués et des installateurs garagistes agréés de chaque fabricant y est mis à jour régulièrement.

Selectra : Quels sont les trois fabricants dont vous parliez et combien de garages sont concernés ?

Nicolas Kurtsoglou : Les trois fabricants sont Biomotors, Flexfuel Company et ARM Engineering. Biomotors et Flexfuel Company ont créé des partenariats avec des réseaux de garages tels que Point S, Roady et Auto Leclerc, Speedy ou Norauto. Cela représente plusieurs centaines de garages et chacun communique sur environ mille installateurs agréés à la fin de l’année 2019.

Selectra : Et combien de stations proposent l'E85 ?

Nicolas Kurtsoglou : Il y avait 1 120 stations E85 à la mi-mai et chaque semaine, 4 stations en plus le proposent. Cela devrait s’accélérer dans le courant de cette année puisque plusieurs réseaux, tels qu’Intermarché, Total, Leclerc, Avia, Carrefour ou Système U le développent.

Selectra : Combien gagne un automobiliste de superéthanol en moyenne ?

Nicolas Kurtsoglou : L'automobiliste qui utilise le superéthanol E85 économise 500 euros tous les 13 000 kilomètres.

L'automobiliste qui utilise le superéthanol E85 économise 500 euros tous les 13 000 kilomètres.

Ce calcul se fonde sur un utilisateur qui parcourt 13 000 kilomètres par an et roule avec une voiture essence qui consomme 7 litres pour 100 kilomètres pour un prix du superéthanol à 0,67€ par litre contre 1,42€ pour l’essence E10. Ce calcul prend en compte une surconsommation de 25% avec le superéthanol-E85 par rapport à l'essence SP95-E10.

Selectra : En dehors de la surconsommation, l’E85 présente-t-il des inconvénients ?

Nicolas Kurtsoglou : Il faut passer un plus souvent à la pompe par rapport à l'essence, c’est le seul réel inconvénient lié à la surconsommation. Et il y a en outre un avantage supplémentaire dont je ne vous ai pas parlé. En parallèle de l’avantage pour le climat il y a aussi un avantage pour la qualité de l’air puisque le superéthanol-E85 permet de réduire de 90% les émissions de particules fines par rapport à l’essence (selon une étude Suisse du Professeur Czerwinski de décembre 2017 ndlr).

Selectra : Combien coûte le boîtier à l’achat ?

Nicolas Kurtsoglou : Le boîtier coûte en moyenne 1 000€, (entre 700€ et 1 300€ pose comprise) et est donc rentabilisé en deux ans pour quelqu’un qui 13 000 km par an à peu près.

Selectra : Existe-t-il une procédure de défiscalisation ?

Nicolas Kurtsoglou : En fait, plus il y a d’éthanol dans l’essence plus c’est écologique et moins c’est taxé. Par conséquent, le E85 est taxé environ 12 centimes par litre, le sans plomb 95-E10 à 66 centimes par litre et le E5 à 68 centimes par litre.

Selectra : Mais si tout le monde se met à utiliser du superéthanol, la taxe ne risque-t-elle pas d’augmenter ?

Trafic routier

Nicolas Kurtsoglou : Une augmentation des taxes était initialement prévue au 1er janvier mais a été annulée suite au mouvement des gilets jaunes. Mais l'augmentation prévue était d’environ 8 centimes jusqu’à 2022 sur le E85, de 13 centimes sur l’essence et de 25 centimes sur le gazole. Donc si les taxes étaient appelées à être réévaluées, notamment avec la taxe carbone, les carburants fossiles essence et gazole augmenteraient plus que le superéthanol.

Selectra : Pour permettre l’achat de ces boîtiers au plus grand nombre, l’Etat mettra-t-il en place des aides ?

Nicolas Kurtsoglou : Il existe aujourd’hui des aides pour la conversion au bioéthanol mises en place dans 3 régions (PACA, Grand-Est et Hauts-de-France), 1 département (Somme), et plusieurs villes. Plus d’information sur infoe85.fr.

Selectra : Comment envisagez-vous l’avenir de ce carburant à horizon 2025 ?

2019 devrait connaître une augmentation de la consommation du superéthanol-E85 encore plus forte que 2018.

Nicolas Kurtsoglou : Assez radieux ! 2019 devrait connaître une augmentation de la consommation du superéthanol-E85 encore plus forte que 2018. Il faudra encore quelques années de croissance de l’E85 pour absorber l’excédent de bioéthanol produit en France et donc à ne plus avoir besoin d’exporter le bioéthanol mais à l’utiliser localement en économie circulaire.

Selectra : Existe-il une concurrence sur ce marché ?

Nicolas Kurtsoglou : Oui, quasiment tous les distributeurs de carburants proposent du superéthaol-E85 dans leurs réseaux. Intermarché et Total sont leader de l’E85 en France avec respectivement 443 et 301 stations E85 à la mi-mai.

Selectra : Si la consommation de superéthanol-E85 augmente, il faudra augmenter les surfaces agricoles dédiées à l’énergie. Ces plantes sont aussi utilisées dans l’alimentaire. N’est-ce pas un problème selon vous ?

Nicolas Kurtsoglou : Il faut savoir que seulement 1% de la surface agricole utile est utilisée pour fabriquer 12 millions d’hectolitres de bioéthanol produits en France. Cela représente environ 330 mille hectares de betteraves, blé et maïs. C’est très faible. Si à un moment on passait à 15 millions d’hectolitres au lieu de 12 millions, nous serions un tout petit au-dessus du 1% en rapatriant tout ce qui est exporté aujourd’hui au niveau français.

Par ailleurs, quand on produit du sucre à partir de betterave on produit aussi en même temps du bioéthanol et de la pulpe pour l’alimentation animale. De même quand on produit de l’amidon, on produit en même temps du bioéthanol et des drêches pour nourrir les animaux. Tout cela est donc complémentaire. Il y a plusieurs débouchés pour un même végétal.

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