L’espace, nouvel eldorado de la production d’énergie : science fiction ou réalité ?

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De l’énergie nucléaire sur la lune, des fermes de centrales solaires dans l’espace, des data centers décarbonés en orbite… Non, il ne s’agit pas des derniers caprices de milliardaires en date, mais bel et bien de projets - on ne peut plus sérieux - à l’étude au cœur des agences spatiales et autres grandes instances politiques. Et si l’avenir de l’énergie se trouvait au-delà des étoiles ? C’est en tout cas ce que suggèrent les récentes avancées en la matière. Le point sur ces innovations “extraterrestres”.

Sus à la centrale solaire orbitale !

De tous temps, l’Homme a rêvé de conquérir les cieux. Depuis le premier vol spatial orbital de l'Histoire à la fin des années 50, l’aventure extraterrestre n’a cessé de repousser les frontières de ses explorations. Commerce, science ou même tourisme spatial, les implications de ces expéditions aux frontières du cosmos sont nombreuses. Parmi elles, on peut désormais compter sur l’incontournable quête d’énergie. Alors que sur terre et dans un contexte de crise, l’approvisionnement énergétique inquiète chaque jour davantage, nombreuses sont les équipes scientifiques à envisager l’espace comme le nouveau terrain de jeu propice à la production d’énergie.

Le concept de centrale solaire orbitale de son côté n’est pas nouveau. À la fin des années 60, l’ingénieur aérospatial tchèque Peter Glaser évoquait pour la première fois l’idée folle de développer une centrale électrique capable de transférer l’énergie solaire de l’espace vers la Terre. Depuis lors, les démonstrations et prototypes en la matière n’ont cessé de fleurir partout dans le monde. En Chine, en Europe, aux Etats-Unis, tous caressent le rêve d’une énergie 100% décarbonée, en transit direct “de la lune à la terre”, ou presque.

Mais comment fonctionne un tel dispositif ? Dans un article de The Conversation publié cette année, Jovana Radulovic, professeur et directrice de la School of Mechanical Engineering and Design de l’Université de Portsmouth (Royaume-Uni), évoque le projet d’une centrale solaire orbitale soumis au gouvernement britannique - dans le cadre de son “portefeuille d'innovations carboneutre” - par un groupe d’ingénieurs et d’investisseurs. Le professeur Radulovic en profite pour rappeler le mode de fonctionnement de ces ambitieuses mécaniques solaires :

“Le système d’énergie solaire spatial comprend un satellite d’énergie solaire – un énorme engin spatial équipé de panneaux solaires. Ces panneaux produisent de l’électricité, qui est ensuite transmise sans fil à la Terre par des ondes radio à haute fréquence. Une antenne au sol, appelée “rectenna”, est utilisée pour convertir les ondes radio en électricité, qui est ensuite livrée au réseau électrique.”

L’ESA dégaine Solaris

L’idée d’une centrale éclairée 24 heures sur 24 par les rayons du soleil, et ainsi capable de produire de l’électricité en continu, a donc de quoi séduire une bonne part de la communauté scientifique, à commencer par l’Agence spatiale européenne (ESA). Avec son programme Solaris, l’Agence spatiale ambitionne de développer d'énormes fermes, ou centrales solaires, dans l’espace. Celles-ci s’étendraient sur près de 2 km de long. Pour Sanjay Vijendran, le physicien responsable du programme :

“Il s’agirait de la plus grande structure jamais construite dans l’espace, à peu près 1 000 fois la taille de ce qu’on y a déjà bâti.”

À ce jour, le continent européen consomme en moyenne pas moins de 3 000 TWh d’électricité chaque année. Or, les études commandées par l’ESA estiment quant à elles qu’une unité de production d’énergie solaire dans l’espace pourrait à elle seule répondre à 30 % des besoins du continent en énergie.
Alors même que la course à l’indépendance énergétique revêt un caractère d’urgence - notamment depuis le début du conflit Russo-Ukrainien et les troubles dans l'approvisionnement en gaz de la part du géant soviétique - l’idée a plus que jamais de quoi convaincre les grands décisionnaires européens.

Mercredi 23 novembre dernier, les États membres de l’Union européenne ont ainsi validé un budget record de près de 17 milliards d’euros à l’attention de l’Agence spatiale européenne, soit 17 % de plus qu'en 2019. Un objectif affiché : que le bras spatial de l’Europe puisse “rester dans la course” face aux Américains, aux Chinois ou encore aux Russes, a affirmé Josef Aschbacher, le directeur général de l’ESA. En effet, aux États-Unis, l’université Caltech souhaite déployer son premier prototype de capteurs solaires pour l’espace dès le mois de décembre. De son côté, la Chine compte en envoyer un dans l’espace en 2028. Si tout se déroule comme prévu, le développement du système Solaris pourrait - quant à lui - débuter dès 2025.

Si le concept de centrale solaire orbitale a connu son lot de déconvenues depuis les premières théories du Tchèque, Peter Glaser, l’urgence climatique et les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 poussent plus que jamais les communautés scientifiques et politiques à doper leurs stratégies en la matière. L’énergie renouvelable de demain est donc en passe de devenir - tout du moins en partie - une énergie extraterrestre, si l’on en croit les efforts déployés en la matière.

Le nucléaire direction la lune

Après Tintin, c’est au tour de l’énergie nucléaire de marcher sur la lune. C’est en tout cas l’ambition portée par la NASA, l'agence spatiale américaine. Ne nous y trompons pas toutefois, il ne s’agit pas d’alimenter la terre en énergie nucléaire, mais uniquement de développer des mini centrales nucléaires pour une future base lunaire. Pour ce faire, la NASA et le ministère américain de l'Energie (DOE) ont sélectionné une poignée d'entreprises afin de concevoir et proposer leurs propres concepts.

Les deux institutions ont à ce titre signé trois contrats - en juin dernier - d’une durée de 12 mois et d'une valeur de 5 millions de dollars chacun, auprès de différentes entreprises. Celles-ci sont chargées de concevoir des systèmes d'alimentation de surface à fission, qui pourraient être prêts à être lancés d'ici la fin de la décennie pour une démonstration sur la lune.

Avec sa superficie de plus de 37 millions de kilomètres carrés, le satellite de la terre demeure à ce jour une grande inconnue. En tout, seuls douze astronautes ont foulé le sol de la lune, à commencer par le légendaire Neil Armstrong. Depuis, l’astre nocturne n’a donc cessé d’alimenter toutes les curiosités. Les travaux scientifiques sont légion : études géologiques, exploration de la face cachée, étude de la formation, collecte d'échantillons… Les opportunités semblent infinies, à commencer par la perspective de rendre possible la vie sur le sol lunaire.

De 2015 à 2018, la NASA a par ailleurs porté le projet Kilopower, avec pour objectif de mettre au point un réacteur nucléaire expérimental en mesure de produire 1 kilowatt - avec une puissance extensible jusqu'à 10 kilowatts. Le projet - mené par le centre de recherche Glenn en partenariat avec le centre de vol spatial Marshall et le Département national de l'énergie nucléaire de Los Alamos - a donc démontré la faisabilité d’une “technologie nucléaire lunaire” qui permettrait de satisfaire aux besoins énergétiques de futures installations à la surface de planètes (Lune, Mars), en développant notamment le réacteur nucléaire prototype KRUSTY, capable de fournir 1 kW de puissance électrique.

C’est donc grâce aux conclusions de ces précédentes recherches que la NASA a pu mandater ces trois entreprises en vue de développer le “réacteur nucléaire lunaire” de demain. Les trois contrats délégués par la NASA et le gouvernement américain ont donc été attribués à Lockheed Martin, qui s'associera à BWXT et Creare ; Westinghouse, qui s'associera à Aerojet Rocketdyne ; et IX, une coentreprise d'Intuitive Machines et de X-Energy qui s'associera quant à elle à Maxar et Boeing.

“Le projet Fission Surface Power est une première étape très réalisable vers l'établissement par les Etats-Unis de l'énergie nucléaire sur la Lune”

John Wagner, directeur du Idaho National Laboratory du DOE

Il est à noter que le programme spatial Artemis, porté lui aussi par NASA, vise l’établissement d'un équipage sur le sol lunaire dès l’année 2025. Le développement de technologies nucléaires viables représente donc un enjeu crucial pour la pérennité de cet ambitieux projet américain.

Vers de la data stellaire ?

Produire de l’énergie depuis l’espace en direction de la terre ; produire de l’énergie dans l’espace pour s’y établir, deux projets d’envergure. Mais dans cette course à la conquête des cieux, il est toutefois une autre ambition affichée par certaines équipes scientifiques : exploiter l’espace en vue de "désengorger" la terre. C’est de cette façon que l’on pourrait résumer le dessein de Thales Alenia Space, filiale du fleuron de l’industrie française, Thales.
Le lundi 14 novembre dernier, l’entreprise a annoncé sa sélection par la Commission européenne pour l’étude de faisabilité de data centers dans l’espace.

Avec l’accroissement du recours au numérique, les data centers ou centres de données - qui stockent donc l’ensemble des données informatiques - sont devenus un enjeu crucial pour l’essor d'Internet. Selon une étude Statista publiée en octobre 2022, il existerait 264 data centers rien que sur l’hexagone. La France se classe ainsi au 8ème rang mondial des pays les mieux équipés en la matière, derrière les Pays-Bas (281) et devant le Japon (207), eux-même très loin derrière les Etats-Unis qui regroupent pas moins de 2 701 de ces infrastructures.

À en croire BFMTV, ces derniers consommeraient environ 2 % de l’électricité dans le pays, soit environ 8,50 TWh des 424 TWh consommés sur le territoire. Plus globalement, “10 % de la consommation électrique totale en France est liée au numérique. Un ensemble qui comporte aussi bien les data centers que les réseaux ou les terminaux”, précise Jean-Marc Menaud, professeur ​à l’école d’ingénieurs IMT Atlantique à Nantes.

De son côté l’association NégaWatt, qui œuvre en faveur de la transition énergétique, estime que la consommation électrique du numérique devrait augmenter de 15 TWh d’ici à 2030, soit +25 % par rapport à 2015 et porterait ainsi la part du numérique à environ 15 % de la consommation électrique du pays.

Une croissance numérique difficilement soutenable par les infrastructures existantes. Selon John Dinsdale, analyste en chef chez Synergy Research, on peut compter “une moyenne de 16 nouveaux data centers mis en service chaque trimestre au cours des trois dernières années”. Une prolifération qui inquiète et présente un impact énergétique et environnemental critique. Pour répondre à cette consommation énergétique gargantuesque, le projet Horizon Europe - doté d’un budget de 95,5 milliards d’euros - travaille donc à la recherche et l’innovation pour la période 2021-2027. C’est dans ce cadre que la Commission européenne a positionné l’entreprise Thales Alenia Space, société conjointe entre Thales et Leonardo, en vue de mener l’analyse de faisabilité d’Advanced Space Cloud for European Net zero emission and Data sovereignty (ASCEND), qui porte sur l’installation de data centers en orbite.

Ces derniers seraient “alimentés par des centrales solaires de plusieurs centaines de mégawatts […] en dehors de l’atmosphère terrestre”, et pourraient “contribuer à l’objectif Green Deal de neutralité carbone d’ici 2050 et constituer un développement sans précédent de l’écosystème du spatial et du digital européen”, vante TAS, la société commune de Thales et de Leonardo, dans un communiqué.

“Il est prévu dans ce projet d'utiliser sur place l'énergie produite en dehors de l'atmosphère terrestre et de n'échanger avec le sol que le haut débit internet, grâce aux communications optiques, dont l'Europe maîtrise les technologies.”

Cette étude financée par la Commission européenne portera donc sur deux volets. Le premier consistera à démontrer que les émissions carbone associées aux phases de production et de lancement de ces datacenters spatiaux seront nettement inférieures aux émissions de data centers terrestres. Le second volet consistera à de prouver qu'il est possible de développer la solution de lancement requise, et d'assurer le déploiement ainsi que l'opérabilité de ces dispositifs, en utilisant des technologies d'opérations robotisées d'assistance en orbite actuellement développées en Europe.

“Limiter l'impact énergétique et environnemental des data centers permettrait d'envisager des investissements importants dans le cadre du Green Deal Européen, et justifierait le développement d'un lanceur vert, lourd et réutilisable. L'Europe pourrait ainsi regagner sa position de leader dans le transport, la logistique spatiale et l'assemblage de grandes infrastructures, directement en orbite.”

De tous temps, la conquête de l’espace par l’homme semble au cœur de toutes les préoccupations. Lucien de Samosate, Restif de La Bretonne, ou même Voltaire, tous ont mis en scène un balai de personnages curieux de découvrir les mystères du cosmos. Aujourd’hui, à l’heure où les avancées technologiques ne cessent de croître, la frontière séparant l’imaginaire des innovations de demain semble plus ténue que jamais.

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