asn nucléaire france 2022
L'énergie nucléaire fait face à de nombreux défis sur la sécurité et la production d'électricité.

Une "double fragilité inédite" sur le nucléaire

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Dans un entretien au Monde, le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, alerte sur l’absence de marges en termes de sécurité d’approvisionnement électrique et de sûreté des équipements. Même si le marché de l’électricité a souffert de complications dues à la crise sanitaire, le gendarme du nucléaire français affirme que « le niveau de sûreté nucléaire et de radioprotection a été tout à fait satisfaisant en 2021 », tout en nous avertissant quand même d’une « double fragilité inédite » : une production qui diminue et une consommation qui augmente.

Une production d'électricité en baisse

Cette double fragilité de la filière nucléaire française concerne la production, le retraitement et la valorisation du combustible nucléaire, ce qui implique à la fois les réacteurs et les installations. Cela repose d’abord sur le besoin d’entretien et de révision des centrales françaises dans leur globalité. C’est la raison pour laquelle EDF doit rendre prochainement un plan concernant l’expertise de l'ensemble des réacteurs nucléaires en service et arrêtés.

Une production d’électricité nucléaire au plus bas prévue pour 2022

Pour 2022, EDF estime sa production électrique nucléaire à un niveau au plus bas depuis au moins trente ans. Cela est dû notamment aux retards du chantier de l’EPR de Flamanville (Manche), ainsi qu’à la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin) depuis 2020.

nucléaire france 2022

De plus, la crise sanitaire a elle aussi eu des répercussions sur le calendrier des arrêts. Certaines opérations de maintenance de 2020 ont été reportées en 2021 et 2022. L'hiver 2021-2022 va être marqué par de nombreux travaux du grand carénage et beaucoup de visites décennales, ce qui oblige à mettre à l’arrêt plus longtemps certains réacteurs.

Ensuite, une anomalie a été détectée par EDF en décembre 2021 sur quatre réacteurs supplémentaires. Cette découverte inattendue réside dans le développement de corrosion sur un circuit important pour la sûreté, le circuit d’injection de sécurité. Un autre réacteur nucléaire à Penly en Seine-Maritime a également été touché par ce problème, conduisant EDF à le mettre en arrêt en janvier.

Ainsi, une quinzaine de réacteurs sur les 56 du parc nucléaire français sont à l'arrêt en plein hiver en France, alors même que la consommation d'électricité augmente du fait du chauffage électrique. Cette baisse de la production et l’arrêt des réacteurs permettent difficilement au réseau de supporter des imprévus.

La possibilité de mettre à l’arrêt douze réacteurs supplémentaires

L’expertise actuellement menée par EDF sur l'ensemble de ses réacteurs représente un long travail : les équipements disponibles pour faire cette analyse sont peu nombreux, ce qui signifie un arrêt prolongé pour certains réacteurs. De plus, si certains actuellement en service présentaient un risque, l'ASN n'hésiterait pas à exiger leurs mises à l'arrêt.

La mission de l'ASN a été créée pour cela, pour prendre une décision, indépendante des pouvoirs publics et de l'exploitant, lorsque des problèmes graves pour la sûreté se posent […] S'il s'avérait, au vu des investigations qui sont en cours, qu'il y a des problèmes graves et imminents pour la sûreté des réacteurs, ce serait de notre responsabilité de le dire et de demander la mise à l'arrêt de ces réacteurs. Bernard Doroszczuk

D’ici 2035, il est possible que douze réacteurs supplémentaires et actuellement en service soient arrêtés, afin de maintenir la sûreté des centrales.

Un bilan pour 2021 négatif en termes de réparation et d’entretien

EDF prend son temps afin de garantir le bon fonctionnement et la sûreté des installations, ce qui fait malheureusement s’enchaîner les problèmes et retards de livraison des différents projets. Ces retards obligent parfois certains exploitants à mettre en place des solutions transitoires.

réparation nucléaire 2021

L’EPR de Flamanville a vu sa mise en service retardée, à cause du non-respect de son calendrier de réparation des soudures.

Le site de La Hague a quant à lui révélé une fragilité des installations du cycle combustible. En premier lieu, sa piscine centralisée pour l’entreposage des combustibles usés ne serait disponible qu’en 2034, alors même qu’on avait identifié depuis 2010 la saturation des piscines déjà existantes. Ensuite, la société Orano (ex Areva) a rencontré des difficultés avec son usine Melox pour la fabrication du MOX, un combustible composé de plutonium et d’uranium appauvri.

Melox ne fonctionne pas au maximum de ses capacités et produit beaucoup de rebuts, ce qui oblige Orano à entreposer plus de déchets nucléaires que prévu. On estime que les capacités d’entreposage seront saturées dès le premier semestre 2022.

Les défis futurs de l'énergie nucléaire

Maintenir en fonctionnement le parc existant : une possibilité ?

EDF n'a pas encore démontré que ses réacteurs existants pourraient dépasser les cinquante ans de fonctionnement, si cela s’avérait nécessaire. Aujourd'hui, le nucléaire constitue encore 67,1% de notre mix énergétique. La France pourrait continuer à dépendre du nucléaire dans les années à venir, tout en développant les énergies renouvelables. C'est ce que suggère l'un des scénarios de RTE pour 2050 : il porte la part d’électricité nucléaire à 50% en 2050.

Ce scénario repose à la fois sur un programme ambitieux en matière de nouveau nucléaire et sur le fonctionnement de certains réacteurs au-delà de soixante ans, et quasiment la prolongation de l’essentiel des réacteurs actuels jusqu’à soixante ans. Bernard Doroszczuk

En théorie, une centrale nucléaire dispose d'une licence d'exploitation pour 40 ans. Toutefois, il arrive que les licences soient prolongées au-delà.

Aux Etats-Unis par exemple, 75 % des réacteurs actuellement en service, qui avaient une licence pour 40 ans d’exploitation, ont vu leur licence prolongée jusqu’à 60 ans. Société Française d'Energie Nucléaire (SFEN)

Le défi de construire de nouveaux réacteurs

En même temps que l'ASN confirme qu’elle n’hésiterait pas à intervenir si la sûreté des équipements était à revoir, elle alerte également sur la nécessité de produire plus d'électricité pour éviter tout problème d'approvisionnement en cas d'imprévu. Cela passe notamment par la construction de futurs réacteurs.

Il faut un plan Marshall pour construire de nouveaux réacteurs. Bernard Doroszczuk

La gestion des déchets

En termes de recyclage et traitement des déchets nucléaires, la France a manqué d'anticipation : ce constat concerne principalement les piscines dans lesquelles est entreposé le combustible usagé à La Hague, là où les centrales nucléaires envoient ce qu'elles ont consommé.

La saturation des piscines était identifiée depuis 2010 comme devant intervenir à l’horizon 2030. Bernard Doroszczuk

On prévoit que les piscines actuelles seront pleines dès le premier semestre 2022 et la nouvelle piscine ne sera prête qu'en 2034. Il va donc falloir trouver des solutions provisoires pour remédier à ce problème, qui risquent d’être moins satisfaisantes en termes de sûreté.

Cette gestion des déchets pose d’autant plus problème qu’en cas de fermeture ou d’arrêt des centrales en fin de vie, la Commission européenne estime à 130 milliards d’euros le coût de gestion des déchets nucléaires. C’est la raison pour laquelle il est primordial d’anticiper au maximum l’entretien du parc nucléaire, allant des réacteurs aux piscines d’entreposage des combustibles usés en passant par le traitement des déchets.

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